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les états où les Allemands vivent en certain nombre avec d’autres nations les mêmes droits soient garantis aux différentes nationalités, et que là où une semblable union ne peut subsister sans faire tort aux Allemands, cette union soit rompue, et ce qui est allemand rendu à l’Allemand. » En un mot, les Allemands doivent avoir des privilèges partout où ils s’établissent ; la nationalité allemande les met au-dessus du droit commun de l’état où ils vivent, et, tandis qu’on pense à supprimer en Orient les capitulations qui entravent le développement de l’état en accordant aux Européens une protection spéciale, il faudra les rétablir en Europe pour les Allemands, parce que « c’est dans la nature des Allemands d’émigrer au-delà de leurs frontières. » Et qui élève ces prétentions au nom de la nation germanique tout entière ? C’est la puissance la moins germanique de l’Allemagne, c’est la Prusse, — la Prusse, dont le nom, avant de s’étendre à un grand état, s’appliquait à une province exclusivement slave, — la Prusse, dont la population, dans ses provinces de Prusse, de Poméranie, de Brandebourg, de Silésie, est en grande partie de sang letton ou slave. Il importe peu, nous en convenons avec M. Bœckh, que le nom des Prussiens signifie, selon les uns, « habitans de la Russ, » ou, selon les autres, « hommes des bois : » un nom n’est qu’un mot, et les dénominations ethniques se déplacent dans le cours des siècles ; mais il importe de remarquer que le royaume de Prusse est à demi slave, et qu’aujourd’hui encore un neuvième de la population prussienne ne parle pas allemand. Ce n’est pas le génie germanique qui préside désormais aux destinées de l’Allemagne, c’est le génie prussien. Nous n’en contestons ni la valeur ni la puissance : à l’intelligence, à l’application, à l’activité allemande, il joint une énergie, une ténacité et une audace particulières ; mais ce qui le distingue par-dessus tout, c’est le dédain de la justice, le culte de la force, du Faustrecht. Une fois triomphant, le « principe de la nationalité » ne lui suffira plus, il y joindra le droit de conquête de par la supériorité de la civilisation allemande, et, si sa violence ne rencontre pas d’obstacles, on peut être certain que son ambition ne connaîtra pas de limites. La Prusse relève l’ancien empire d’Allemagne. En vérité, aucune devise ne peut mieux convenir à ses rois que celle des anciens empereurs d’Allemagne. « toujours agrandisseur de l’empire, Alle Zeit Mehrer des Reiches. » Toujours agrandir l’empire, n’est-ce pas toujours dépouiller ses voisins ?


H. Gaidoz.