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justifier toutes les représailles, toutes les violences même de la démocratie triomphante ? Mais un siècle de gouvernement libre avait donné à ce peuple athénien, que l’on a tant calomnié, un profond respect de la légalité ; ceux même qui avaient mis à mort sans jugement beaucoup des meilleurs parmi leurs concitoyens obtinrent le bénéfice d’un débat public et contradictoire. On peut lire dans le Pseudo-Plutarque le texte du plébiscite qui renvoya devant le jury Antiphon, accusé de haute trahison, et celui de la sentence qui le frappa. Des principaux auteurs du coup d’état qui avait mis Athènes à deux doigts de sa ruine, Antiphon était, avec un certain Archéptolème, le seul qui ne se fût pas soustrait par la fuite à la juste colère du peuple. Fut-ce l’âge et les infirmités qui le retinrent, comptait-il sur le pouvoir et le charme de son éloquence ? On ne sait ; toujours est-il qu’il ne fit aucun effort pour éviter le danger et qu’il se présenta au jour dit devant le tribunal qui devait prononcer sur son sort.

Les débats de ce procès, où se pressa la foule, firent sur l’esprit des Athéniens une profonde impression, et laissèrent des souvenirs dont la vivacité nous est attestée par les expressions mêmes de Thucydide, ainsi que par différentes allusions et anecdotes qu’il serait aisé de recueillir chez les anciens. L’importance politique de l’affaire aurait déjà suffi à éveiller l’attention : il s’agissait de savoir si des ambitieux, ennemis héréditaires des institutions que s’était données la majorité du peuple athénien et qui lui avaient assuré tout un siècle de prospérité et de grandeur, pourraient impunément continuer à troubler la cité, à l’agiter de leurs rancunes et de leurs haines, à conspirer dans l’ombre de leurs sociétés secrètes, et à menacer son indépendance en mendiant contre elle le secours de l’étranger. Les Athéniens en ce moment étaient d’autant plus attachés à leurs libertés qu’ils les avaient crues, quelques semaines auparavant, détruites pour toujours ; ils avaient d’ailleurs pu juger à l’essai le régime dont les feraient jouir, quand ils seraient les maîtres, ceux qui se décernaient si complaisamment a eux-mêmes le titre de parti des meilleurs, des honnêtes gens. Le sentiment démocratique avait donc alors un entrain, une chaleur qu’atteste assez l’éloquent décret de Démophante. Ce texte curieux nous a été conservé dans le discours d’Andocide sur les mystères ; il contient un serment que durent prêter en 410 tous les Athéniens, serment par lequel ils s’engageaient à maintenir envers et contre tous les vieilles lois de Solon et les franchises qu’elles consacraient. Par la véhémence de ces paroles enflammées, on peut se faire une idée de la sourde indignation qui fermentait dans tous les cœurs le jour où le jury, pour la première fois convoqué après