quatre mois de clôture de la salle de ses séances, vit paraître à sas barre les deux prévenus qui, en l’absence des autres conspirateurs plus avisés, venaient seuls répondre des intrigues et des violences au moyen desquelles on avait essayé de changer la constitution d’Athènes.
Mais là n’était pas tout l’intérêt. Les Athéniens étaient trop amateurs du talent et du beau langage, trop artistes en un mot, pour que la curiosité, même en de si graves conjonctures, ne conservât pas ses droits. Antiphon n’était pas populaire. Les Athéniens avaient conscience de l’empire qu’exerçait sur eux l’éloquence, et ils craignaient toujours de ne point être assez en garde contre ses séductions. Ils étaient mal disposés pour tous ces esprits raffinés que l’on désignait sous le nom de sophistes, lesquels aimaient à se vanter de savoir persuader à la foule ce qu’il leur plaisait de lui faire croire, d’enseigner à la tromper et à se jouer de sa crédulité. La foule se sentait, non sans quelque raison, méprisée par eux ; elle savait qu’ils ne se faisaient point faute de railler dans leurs petits cercles fermés, au milieu d’auditeurs qui ne voyaient que par leurs yeux, les institutions démocratiques et l’égalité qu’elles prétendaient établir entre les hommes. Le peuple se méfiait donc de ces gens qui se donnaient comme plus sages que tous leurs concitoyens et que le législateur même ? il les craignait comme des magiciens toujours disposés à faire sur lui l’expérience de leur pouvoir et de leurs sortilèges ; il devinait chez eux un dédain et une malveillance qui pouvaient, comme ce fut le cas pour Antiphon, se changer au premier jour en une hostilité déclarée. Déjà, on le sait, un des maîtres de Périclès, Damon, avait été victime de ces soupçons ; l’ostracisme l’avait frappé moins pour un crime défini que pour les sentimens qui lui étaient attribués par les inquiétudes de l’opinion. Plus tard, ce qui surtout perdit Socrate, ce fut la réputation qu’il avait d’être ennemi de la démocratie. Antiphon, bien avant même que, dans les dernières années de sa vie, il ne jouât un rôle important, avait dû être suspect au public. L’aïeul d’Antiphon, qui, suivant l’usage athénien, portait sans doute le même nom que son petit-fils, passait déjà pour avoir été mêlé à je ne sais quelles menées factieuses, probablement comme partisan de l’oligarchie ; c’est ce que nous apprennent quelques mots de la défense d’Antiphon conservés par un lexicographe. Son père, Sophilos, s’il faut en croire l’auteur de ces Vies des dix orateurs qui ont été recueillies parmi les œuvres de Plutarque, était lui-même sophiste. Sophilos avait été le premier maître de son fils. Ainsi Antiphon avait hérité tout à la fois des connaissances paternelles et de la défaveur qui s’attachait aux études des sophistes. L’attitude qu’il prit n’était pas faite pour lui ramener les sympathies