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propre vie était en péril, cet habile avocat dont l’adresse avait peut-être soustrait tant d’accusés à une juste condamnation. Il y avait là pour le peuple une satisfaction de vanité tout à la fois et un grand intérêt de curiosité ; tout en punissant des actes qu’il semblait devoir être bien difficile de justifier, on aurait le plaisir d’entendre enfin l’homme qui, depuis que Gorgias ne séjournait plus à Athènes, y représentait avec le plus d’éclat cet art nouveau de la rhétorique. Plus d’un ennemi politique d’Antiphon se demandait si ses disciples et son parti ne l’avaient pas surfait, si ce n’était point là une de ces réputations de coterie qui ne supportent point l’épreuve de la discussion publique et du plein jour. Quant aux lettrés et aux délicats, ils savaient à quoi s’en tenir, et dès l’aube ils étaient à leur poste, pressés devant les portes encore fermées du tribunal ; ils voulaient être les premiers à les franchir dès qu’elles s’ouvriraient, afin d’être placés tout près de la barrière qui séparait les jurés de l’auditoire ; il ne fallait pas perdre une seule des paroles de l’éloquent orateur, qu’élèverait encore au-dessus de lui-même la gravité des circonstances. Comme plus tard ce procès de Callistrate d’Aphidna auquel on attribue le mérite d’avoir éveillé le génie du jeune Démosthène, le procès d’Antiphon, dans cette ville passionnée pour les choses de l’esprit, fut un événement littéraire autant que politique.

Les débats répondirent à l’attente qu’ils avaient excitée. Dix co-accusateurs (συνήγοροι) avaient été chargés de porter la parole au nom de la cité. C’est ce qui se faisait d’habitude dans les procès de haute trahison ; de plus le décret du sénat qui renvoyait Antiphon devant le jury avait réservé à tout citoyen la faculté de s’adjoindre à ces délégués pour mieux mettre en lumière les crimes d’Antiphon. C’était en effet au patriotisme des particuliers qu’était confié, dans le cours ordinaire des choses, le soin de faire observer les lois et de citer devant le magistrat compétent ceux qui les enfreignaient ; pour que l’état prît la peine de se donner à lui-même des avocats, de désigner les orateurs qui seraient investis du droit de poursuivre, il fallait des cas exceptionnels et une procédure spéciale, que l’on appelait eisangélie (είσαγγελέα)ou dénonciation ; mais alors même qu’elle instituait ainsi une sorte de ministère public, Athènes tenait à ne point décourager, à ne jamais exclure l’initiative privée.

Quelque ennemi personnel d’Antiphon profita-t-il de la permission, les accusateurs qu’avait nommés le sénat firent-ils honneur à ce choix ? Tout ce que nous savons par un court fragment d’Antiphon, c’est que l’un de ceux qui portèrent la parole contre lui s’appelait Apolexis. Ce personnage est d’ailleurs à peu près inconnu.