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La seule chose certaine, c’est que le principal acteur du drame, Antiphon, se montra tout à fait à la hauteur de sa réputation. Son discours avait été recueilli et conservé. C’est, on n’en saurait guère douter, celui que les grammairiens mentionnent à plusieurs reprises sous ce titre : De la révolution (περί μεταστάσεωζ). Antiphon dut en effet se trouver conduit à y exposer tout le plan des prétendues réformes que ses amis et lui avaient essayé d’accomplir ; il ne pouvait dissimuler la part qu’il avait prise à ces tentatives. Malheureusement les fragmens qui nous sont donnés comme appartenant à ce plaidoyer ne se composent guère que d’un mot ou d’une phrase sans aucun intérêt ; mais Suidas cite, sans indication du discours auquel il l’emprunte, un fragment qui doit être restitué à cette apologie : « on vous a demandé de ne pas vous laisser prendre de pitié pour moi ; on a craint que par des larmes et des supplications je ne m’efforçasse de vous fléchir. » Ceci s’encadre merveilleusement dans l’exorde de cette défense, telle que nous pouvions nous l’imaginer d’après ce que nous savons des habitudes de l’ancienne éloquence athénienne et du caractère même d’Antiphon. L’orateur à Athènes était forcé de s’interdire tout ce qui aurait semblé ne s’adresser qu’à la partie sensible de l’âme. Sans doute un habile homme, comme Antiphon ou Lysias, savait bien trouver moyen de toucher et de remuer les cœurs sans en avoir l’air ; mais il fallait qu’il cachât son jeu, autrement ses auditeurs se seraient mis en garde. Les cordes qu’il voulait faire vibrer se fussent détendues ou brisées sous l’archet. Antiphon avait une trop haute idée de lui-même et de son art pour s’exposer à recevoir de personne une leçon de goût.

Il avait aussi trop d’orgueil pour chercher à se soustraire, par un humble et tardif désaveu, aux conséquences de ses actes. Peut-être le sentiment qui l’avait décidé à rester, quand ses complices fuyaient de toutes parts, le porta-t-il à revendiquer hautement la pleine responsabilité de la politique dont il avait été le principal inspirateur. Sa seule chance de salut, c’était de prouver aux juges qu’il n’avait agi ou cru agir que pour le bien d’Athènes. La rhétorique, pour emprunter les mots mêmes dont se sert un des successeurs les plus convaincus d’Antiphon, Isocrate, « sait faire paraître petites les grandes choses, et grandes les petites. » Ce n’était vraiment pas trop vanter sa puissance, si elle réussissait à désarmer d’une juste colère la démocratie, victorieuse, à la convaincre des bonnes intentions de ceux qui avaient assassiné ses chefs et tout préparé pour ouvrir les portes d’Athènes à son plus cruel ennemi. Malgré tout son talent, Antiphon ne pouvait pas faire, ne fit pas ce miracle. Le jury, nous ne savons à quelle majorité, déclara par son verdict les deux prévenus coupables du crime de haute