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mander au général de Werder qu’on permît aux femmes et aux enfans de sortir de la place. Le général prussien répondit : « Je sais bien que le bombardement ne me donnera point vos remparts ; mais c’est aux habitans à forcer le général à capituler. » Qui aurait cru qu’en notre temps il fût encore regardé comme permis de livrer à la mort des femmes et des enfans pour forcer le commandant d’une citadelle à capituler, de mettre le feu à l’hospice de la Pitié pour obliger le Mont-Valérien à baisser ses ponts-levis ? En Allemagne même, ces énormités ont paru révoltantes, et des voix généreuses se sont élevées pour les flétrir. La Gazette de Manheim a protesté contre le bombardement de Strasbourg. « Ce bombardement, dit-elle, était-il une nécessité de la guerre ? Cela nous paraît une question à poser, dont la réponse exacte ne trouvera vraiment place que dans l’histoire de la guerre de 1870. Dès maintenant nous croyons pouvoir dire : À quoi bon cette fureur contre la malheureuse ville de Strasbourg ? On réclame Strasbourg, l’ancienne ville impériale, la capitale de cette Alsace qui est de souche allemande, ce Strasbourg où s’élève la cathédrale, cette œuvre sublime de l’art allemand, cette ville où vivait Gutenberg, à qui l’imprimerie doit son essor, et on la traite en vrais barbares ! Sur qui retombera cette responsabilité, si un jour il est prouvé que ce désastre pouvait être épargné ? Que dira désormais le guide qui parcourra Strasbourg avec l’étranger ? Strasbourg succombera ; mais que cette fière ville périsse écrasée par les bombes allemandes, c’est là un étrange retour pour elle dans la maison paternelle. »

M. de Bismarck, pressé par une déclaration du corps diplomatique, allègue l’autorité de Vattel comme favorable à la pratique du bombardement. Ce n’est point un suffrage de l’autre siècle qu’il fallait rapporter, c’est une autorité de notre temps, où la raison morale et les considérations de la politique civilisée ont placé plus haut la question. Nous admettrons que le bombardement demeure licite, mais comme instrument de guerre contre un ouvrage de guerre. On répond que la fortification de Paris lève toute difficulté. Si le bombardement est dirigé, contre les fortifications, oui. S’il est dirigé contre la ville, les grandes et solides raisons de Mackintosh, adoptées comme règle du droit des gens moderne par le savant et respectable M. Wheaton et par M. Fiore, reprennent tout leur empire ; mais ici se présente une autre question, celle de la convenance, de la nécessité d’un avertissement préalable. Aux représentations du corps diplomatique réclamant au nom des neutres résidant à Paris, M. de Bismarck répond qu’il ne connaît pas de règle qui oblige l’assiégeant à un avertissement précis. Cette réponse évasive a lieu de nous étonner. Le droit des gens se compose, non d’un code de textes promulgués comme loi des nations, mais d’un ensemble