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plusieurs secondes, et par conséquent à une distance de 2 ou 3 kilomètres. L’oreille apprécie aisément la direction dans laquelle arrive le projectile, et l’extrême sensibilité de cet organe devient ainsi un véritable moyen de préservation, car l’obus passe si vite qu’on ne le voit pas venir, qu’on ne l’aperçoit pas dans l’air, même la nuit, avec les nouveaux engins. On l’entend éclater, on peut même être touché par lui, alors qu’on le croit encore assez loin. Le bruit que produit L’explosion de l’obus est un bruit tout spécial : il ne saurait se comparer à celui de la détonation du canon étendu à peu de distance, c’est comme un son mat, sourd accompagné des répercussions de l’écho et des vibrations que les débris du projectile font entendre en frappant les murs ou le sol La nuit, toute cette musique a quelque chose de sinistre, et si l’on est dans la sphère d’activité du bombardement, c’est-à-dire dans la partie visée et atteinte, on ne dort guère.


III.

Le 27 décembre au matin, l’ennemi a commencé à bombarder nos forts. Il a ouvert ses feux sur les forts de l’est, Rosny, Noisy, Nogent. Ce sont ceux qui gardent la route d’Allemagne, par où les Prussiens opèrent surtout leur ravitaillement. L’ennemi n’a pas tardé à lancer ses projectiles sur les forts du sud, ceux de Bicêtre, Montrouge, Vanves et Issy. Ce dernier a même été choisi comme principal objectif par les canonniers allemands, et l’on comprend cette préférence, si l’on réfléchit que c’est par le Point-du-Jour, qu’Issy défend en partie, que les Prussiens ont de tout temps annoncé vouloir faire brèche sur l’enceinte continue de Paris. La ville elle-même a bientôt reçu sa part directe du bombardement, et dans la nuit du 5 au 6 janvier les obus ont commencé à pleuvoir sur tous les quartiers de la rive gauche, du Jardin des Plantes à Grenelle. Depuis lors, la pluie de fer et de feu s’est parfois ralentie, mais ne s’est guère plus arrêtée jusqu’au 27. Enfin le 21 janvier vers neuf heures du matin le bombardement a été violemment ouvert sur les forts et sur la ville de Saint-Denis, dont on a pris la vieille basilique comme point de mire de feux convergens. Le lendemain, dans l’espace d’une heure il y tombait 120 obus. En outre, des incendies très graves ont été allumés dans la ville par les bombes. Toutes les nuits, souvent même dans la journée, les quartiers populeux de la partie sud de Paris, ou de nombreux établissemens religieux, hospitaliers, scientifiques, existent depuis des siècles, ont été mitraillés sans distinction, sans pitié, pour rien. La croix de Genève, visible de plusieurs lieues sur le dôme élevé de quelques édifices où flotte le drapeau