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international, n’a pas même été respectée ; bien mieux, on s’est servi de ce signal pour guider le tir, et l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, avec beaucoup d’autres ambulances, a été maintes fois atteint par les obus.

Le bombardement de Paris n’a été précédé d’aucune sommation, d’aucun avertissement, comme il est d’usage entre peuples civilisés. Si la guerre n’est qu’un duel, on devrait au moins se prévenir au moment de se bombarder, comme deux adversaires se saluent de l’épée avant de se mettre en garde. Pourquoi mitrailler la nuit des femmes, des enfans, des êtres inoffensifs, endormis ? Ceux-là ne sont pas soldats, et malgré les brutales exigences de la guerre on devrait les respecter ou tout au moins les prévenir. On répond qu’une ville assiégée peut toujours être bombardée sans sommation, et que les mesures préventives sont bonnes pour une ville ouverte. C’est possible, mais les membres du corps diplomatique et consulaire restés à Paris n’en ont pas moins protesté tous ensemble contre un bombardement exécuté sans sommation et comme à la sourdine. Il eût fallu au moins aviser les neutres, les étrangers, et leur donner le moyen de sortir, ce qu’on leur a toujours refusé depuis deux mois.

Il y a longtemps que le bombardement est regardé par tous les militaires dignes de ce nom comme une mesure désormais hors d’emploi, sauf le cas des petites places. Sans parler ici de Vatican, qui a conduit tant de sièges, et qui s’y est étudié avec un soin si paternel à ménager la vie des hommes au dedans comme au dehors, sans parler de Carnot, qui, dans son remarquable livre de la Défense des places fortes, traita les bombardemens comme un procédé barbare, sans résultat, tous les militaires contemporains dédaignent cette manière brutale d’attaquer les villes qui se défendent. « À la guerre, les bombardemens ne sont comptés pour rien, » a écrit Napoléon lui-même.

D’ordinaire le but qu’on se propose dans un bombardement est d’épouvanter, de terrifier une place en y portant le désordre, la ruine, la mort, en frappant indistinctement sur tous, mais principalement sur les plus faibles, sur les plus innocens, sur les femmes, les enfans, les vieillards, les malades. On espère ainsi jeter le trouble dans la défense, soulever les habitans contre la garnison, et amener le gouverneur de la place à capituler. C’est d’habitude l’effet contraire qui a lieu, et l’on ne réfléchit pas à la somme de haines que l’on amasse sur sa tête, si par hasard on entre dans la ville assiégée. Le bombardement ne fait qu’exaspérer les défenseurs, surtout quand ils sont tous unis dans une idée commune, repousser coûte que coûte l’assiégeant. M. de Bismarck, en nous bombardant, a montré qu’il ne connaissait guère mieux les Parisiens, auprès