Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

desquels cependant il a résidé, que les Parisiens ne connaissent les Allemands, dont ils ont eu bien tort de n’aller pas étudier le pays.

Le bombardement s’expliquerait encore dans une ville restreinte, divisée par des factions violentes, ou peuplée d’habitans d’origines et de religions diverses qui vivraient mal ensemble. À Paris, il n’y a point de ces distinctions entre les citoyens. À Mayence, sous la première république, à Dantzig, sous le premier empire, le bombardement pouvait amener la scission entre les Allemands restés dans la place et les Français qui en étaient maîtres. Cette division aurait pu accélérer de quelques jours, peut-être de quelques semaines, la reddition de ces villes. Eh bien ! malgré les bombardemens de Mayence et de Dantzig, qui sont restés fameux dans l’histoire, cette division n’eut pas lieu, même dans ces circonstances critiques ; il fut prouvé une fois de plus que c’est folie de bombarder une ville que l’on assiège, et que ce n’est pas là le moyen de la prendre.

C’est le 5 janvier au matin, vers dix heures, que le premier obus ennemi, franchissant nos remparts, est tombé sur la capitale. Cet obus était sans doute réservé à la partie de l’enceinte qui compose le sixième secteur, et qui s’étend du Point-du-Jour à Passy en passant par Auteuil ; mais depuis ces quartiers de Paris n’ont rien eu à envier à ceux de la rive gauche, sinon pour l’étendue du bombardement, au moins pour la persistance et la continuité. Là encore rien n’a été respecté, pas même les hôpitaux et les asiles. Quant aux personnes atteintes dans tous les quartiers éprouvés, on sait combien de victimes touchantes on compte parmi elles. Ici c’est une mère mutilée avec sa fille en traversant la place du Panthéon, là une pauvre femme frappée dans son sommeil ; ailleurs ce sont des malades, des blessés, au milieu desquels vient éclater le projectile, ou bien dix jeunes écoliers atteints à la fois dans un dortoir, dont la moitié mortellement. Croit-on que notre population, devant ces nouveaux malheurs, ait été le moins du monde ébranlée et ait senti sa virilité faiblir ? Comme il faut qu’en tout le plaisant se mêle au sévère, on a bientôt couru après les obus, on en a recherché les éclats ; les femmes, toujours curieuses, sont venues en nombre à ces spectacles, si bien qu’il a fallu en quelques endroits décréter des mesures de sécurité. Somme toute, chacun a supporté d’un cœur vaillant la situation nouvelle qui lui était faite, et s’est dit qu’au demeurant les Allemands faisaient là beaucoup de bruit pour peu de besogne. Quelques-uns ont pu taxer de faute militaire l’investissement de Paris, qui aura pris près de cinq mois aux Prussiens ; quant au bombardement, il ne peut y avoir qu’une voix pour en condamner l’adoption.