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ritiers d’une belle fortune. C’était le service personnel obligatoire qui commençait en France.

Tous les hommes acquittant la même dette envers le pays, voilà l’idée fondamentale ; elle suffit pour faire porter légèrement à cette brave jeunesse un fardeau que les familles trouvaient trop lourd, on s’en souvient. Elle ne croit plus payer deux fois l’impôt du sang du moment qu’il est acquitté par tout le monde ; elle ne se tient plus pour trompée dans ses prévisions quand le mécompte est général. Le garde mobile ne connaît pas le crève-cœur du conscrit, qui part en laissant au pays des camarades plus riches ou plus heureux. La nature humaine est ainsi faite que l’on ne tient plus de compte des peines auxquelles personne ne peut se dérober. La nature du Français y ajoute les consolations puisées dans l’égalité. Dévoués à la patrie, notre premier mouvement est de nous engager à titre de volontaires, mais le second est de regarder si le voisin en fait autant. Nous supportons, nous aimons les lois les plus dures quand elles ne souffrent pas d’exceptions.

Pour réaliser cette égalité devant le sacrifice commun, les institutions du pays étaient loin de suffire. La loi sur la garde mobile obligeait au service tous les citoyens de vingt à vingt-cinq ans, et n’admettait pas la faculté de remplacer un homme par un autre : c’était beaucoup déjà dans un pays où le devoir personnel de marcher sous les drapeaux n’entrait pas dans les mœurs ; cela ne répondait pas entièrement au vœu d’une justice rigoureuse ni aux besoins infinis du présent. Restaient en effet les moyens de se dérober à la règle sous l’apparence d’une excuse légitime. Fallait-il s’en tenir aux pratiques du présent ? Les lois militaires en vigueur exemptaient du service les soutiens de famille et les fils de veuve. Essayait-on de remonter dans le passé, on trouvait les réquisitions de 1792 et des années suivantes, où non-seulement il était permis de se faire représenter moyennant finance, mais où les directoires de département et les municipalités étaient les intermédiaires entre les particuliers et l’état. La levée était une affaire communale ; elle se faisait bourgeoisement et comme en famille ; les villes ramassaient dans leurs carrefours les désœuvrés, les mauvais sujets, les écloppés même, pêle-mêle avec les jeunes gens valides et les véritables volontaires. Après un enrôlement de ces soldats de hasard que nos pères auraient appelés a des troupes de salade, » un second, un troisième ne tardait pas à être fait, toujours inférieur aux précédens, toujours grossi par des remplaçans qui souvent avaient déserté deux ou trois fois pour s’engager encore et toucher de nouvelles primes, tandis que les remplacés, aussi prodigues de leur argent qu’ils étaient avares de leur sang, payaient des hommes à chaque réqui-