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sepot les eurent bientôt transformés. Ils avaient eu en route leur petite odyssée, les circonstances dramatiques n’avaient pas manqué à leur départ. Ils étaient à Villers-Cotterets ; presque tout le monde quittait le pays ; le corps du général Vinoy opérait précipitamment sa retraite, l’ennemi dépassait Reims. Les seize cents hommes du bataillon semblaient oubliés dans leur petite ville ouverte. Le commandant voulut prendre en quelque sorte sur lui de se diriger sur Paris. Les dernières troupes du général Vinoy passaient ; on partit avec elles, le 5 au soir, après une fatigante journée d’exercice. Une étape de plus de 12 lieues, de Villers-Cotterets à Dammartin, fut faite dans la nuit. Il y avait un contraste frappant entre les mobiles et les troupes qui revenaient de concert avec eux : les premiers étaient tristes de quitter leur pays, laissé à la merci de l’invasion, mais ils espéraient combattre, résister, se venger tôt ou tard. Les autres, découragées, abattues, ne semblaient même plus croire à la possibilité de se défendre. À Dammartin, par une pluie battante, il fallut attendre toute la journée du 6 qu’un train pût être organisé. Le soir, ils entraient dans Paris, commençant le défilé de ces 90,000 mobiles qui durant huit jours sont venus s’enfermer avec nous.

La France de l’est a fourni un bataillon de la Marne, celui de Châlons, ceux de l’Aube et les mobiles de la Bourgogne. La Marne et l’Aube représentent pour nous cette fidèle Champagne qui a tant souffert dans nos invasions précédentes, et davantage encore dans celle qu’une mémoire plus fidèle et une plus sage prévoyance auraient dû nous épargner. Châlons, rendez-vous général de tous les volontaires de la France en 1792, ne pouvait manquer de payer la dette nationale pour son propre compte, après le peu de résistance que, par la faute des hommes ou des circonstances, l’ennemi a trouvée dans son enceinte : elle l’a payée aussi au nom du département, qui n’a pas oublié qu’un grand nombre de ses communes ont donné leurs noms à nos batailles de 1814. C’est là qu’est Valmy, où la France lut sauvée en 1792 ; c’est là qu’est déposé le cœur de Kellermann, et les enfans de ce pays sont venus prouver ici qu’ils avaient gardé ce grand souvenir. Ce n’est pas l’Aube qui pouvait manquer de mémoire. Interrogez sur ce point les mobiles. Troyes avait à peine réparé ses anciennes pertes quand elles sont venues s’accroître. Nogent-sur-Seine avait vu brûler ses édifices et cent quarante maisons par simple mesure de vengeance. Arcis-sur-Aube, presque détruit, Villenauxe, livrée au pillage durant une semaine, achèvent l’histoire des vieux griefs que ces soldats improvisés espéraient venger sous Paris un demi-siècle après.

Trois des départemens bourguignons, l’Ain, la Côte-d’Or, la