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jonctures. Si les audiences s’ouvrent parfois pour se refermer bientôt, c’est que plaideurs, avocats et juges estiment que la justice à la rigueur peut chômer, non la défense nationale ; mais la justice est sur son siège, accessible à tous et prête à entendre toutes les causes. Elle est là dans ce monument, incommode, bizarre, que l’empire laisse à moitié refait, à moitié en ruine, et dont l’exacte image est celle du bouleversement et du désarroi où sont aujourd’hui tant de choses en France. Sera-t-il jamais achevé ? La salle des Pas-Perdus cessera-t-elle un jour de s’appuyer sur les gigantesques béquilles qu’on lui donna il y a quelque vingt années ? La faveur du dernier gouvernement n’était point de ce côté ; elle allait droit aux théâtres et aux casernes : elle y est allée si bien que le Palais lui-même en est environné. La justice a dû attendre tout un règne, elle attendra encore qu’on lui prépare enfin un asile plus digne d’elle. N’est-ce pas là d’ailleurs que vit également le barreau, cet ordre de mécontens qui respectèrent si peu les procédés administratifs du grand entrepreneur de l’Hôtel de Ville, sans s’incliner précisément devant les agissemens des Tuileries ? N’est-ce pas de là que sortirent ces plaidoiries qui traversèrent l’Europe, et retentissaient déjà comme le tocsin à l’heure où le pays sommeillait encore dans ses fausses sécurités ? Oui, cette maison est aussi celle du barreau, et c’est bien de là que furent portés les premiers coups qui entraient au vif dans les plaies de l’empire. Comment donc l’empire eût-il aimé le Palais ? Aussi bien c’est ici l’occasion de parler de ce même barreau, qui a pris une si large part dans les affaires du pays. Suivons-le donc à son tour, et, s’il le faut, même en dehors du Palais, où il se trouve surtout aujourd’hui. Nous reviendrons ensuite à la magistrature et chercherons à préciser la situation que l’empire a faite à cette belle institution, dont le renom fut si éclatant, et qui plus que jamais doit résider à ces hauteurs où les esprits sensés et les politiques honnêtes ne cesseront de l’élever dans tous les temps et sous tous les règnes.


II.

Le conseil de l’ordre des avocats, qui est également une des juridictions du Palais, a tenu lui-même ses séances. Il s’est réuni, mais là aussi il existait des vides. Ceux-là, il est vrai, la politique surtout les avait faits. Le gouvernement de la défense nationale avait pris à ce conseil MM. Jules Favre et Picard ; la préfecture de police, M. Cresson ; la diplomatie, M. Sénard, en mission à Florence ; le parquet de la cour d’appel, M. Leblond, procureur-général. Le gouvernement comptait encore dans les membres du barreau MM. Crémieux, Emmanuel Arago, Gambetta et Jules Ferry.