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reconnaître que bien peu de maisons avaient été épargnées par leurs obus.


II.

Le désastre de Metz, le malheur de Thionville, ne découragèrent pas le petit nombre de défenseurs qui résistaient encore dans le département de la Moselle. À chaque extrémité de ce département, à plus de trente lieues l’une de l’autre, les deux forteresses de Bitche et de Longwy, sommées de se rendre dès le mois d’août, ne se sont pas encore rendues, et l’armistice les trouvera occupées par des soldats français. On ne peut penser sans reconnaissance à ces sentinelles isolées qui, après six mois de guerre et de défaite, tiennent encore le drapeau de la France si près de la frontière allemande. Elles ne se font assurément aucune illusion sur leurs chances de salut, elles n’attendent rien de l’avenir, elles ne résistent pas pour se sauver ; mais elles gardent un poste de combat et s’y défendent jusqu’au bout. Les officiers qui commandent ces deux places et les habitans qui y vivent ne se croient déliés d’aucun de leurs devoirs parce qu’autour d’eux tout a succombé ; ils pensent au contraire que la patrie a d’autant plus besoin de leur courage qu’elle est plus malheureuse.

Le fort de Bitche, situé à la limite de la Bavière rhénane, au point même où finissent les Vosges françaises, garde la route qui va de Wissembourg à Sarreguemines et à Forbach, en longeant notre frontière. Cette situation l’exposait à une des premières visites de l’ennemi, qui y arriva en effet dès le début de la campagne en poursuivant les débris de la division Douai, qu’il venait de surprendre et d’écraser dans la malheureuse journée du 4 août. Le général de Failly aurait pu s’y trouver encore, car c’était le poste qui avait été assigné à ses soldats pour relier les forces du maréchal Mac-Mahon à celles du général Frossard ; mais il ne s’y trouvait pas plus qu’il ne se trouvait à la bataille de Forbach et à celle de Reischofen. Il errait sur les routes, dans les défilés des montagnes, pendant qu’à sa droite et à sa gauche, à quelques lieues de lui, deux corps d’armée français étaient écrasés par des forces supérieures. De ces deux engagemens livrés si près de lui, ce général ne connut que la déroute dans laquelle il se laissa entraîner avec ses 35,000 hommes, sans pouvoir ni s’arrêter ni se reformer avant Châlons. Du même coup, il avait perdu tous ses bagages et toutes ses rations de vivres, qui heureusement furent recueillis par le commandant du fort de Bitche. C’est de ces magnifiques approvisionnemens que vit encore aujourd’hui la petite garnison de la place. Il y avait peut-être là de quoi la nourrir pendant un an.