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bois. À ces beautés pittoresques, de puissantes usines, qui animent le cours du Chiers, associent l’activité et la richesse de l’industrie. Aujourd’hui sans doute l’artillerie prussienne a ravagé l’œuvre des hommes et bouleversé le paysage ; mais si les arbres tombent, si les murailles s’écroulent sous le poids des obus, les courages ne se laissent point facilement abattre. Les habitans de Longwy connaissaient depuis longtemps le sort qui les attendait. L’exemple de Thionville et de Montmédy leur apprenait ce qu’ils auraient à souffrir. Ils savaient que, dans la guerre actuelle, avec la tactique nouvelle de nos ennemis, il ne s’agissait plus comme autrefois de ces luttes corps à corps où la bravoure personnelle peut décider du succès, où le plus hardi trouve son jour de gloire et d’héroïsme. Ils n’ignoraient pas qu’ils rencontreraient difficilement un ennemi insaisissable, et qu’il leur faudrait lutter non contre des hommes, mais contre du fer. On les avait prévenus que leur ville serait bombardée, que leurs toits s’effondreraient sur leurs têtes, qu’il ne resterait peut-être pas dans l’étroite enceinte de la forteresse un seul endroit qui ne fût balayé par les projectiles ennemis. On leur avait montré dans le bois du Chat la place où s’établiraient certainement les batteries allemandes pour s’élever au même niveau que les remparts de Longwy ; mais la conscience du péril certain auquel ils s’exposaient n’ébranla point leur résolution de résister jusqu’au bout, tant que les casemates pourraient les abriter. Ils ne craignaient point la famine : toutes leurs précautions étaient prises pour vivre pendant de longs mois ; d’ailleurs l’intendance avait fait entrer dans la ville par la Belgique huit cent mille rations destinées à l’armée du maréchal Bazaine. Beaucoup avaient déjà offert à la patrie le sacrifice de leur fortune détruite par la guerre ; ils étaient prêts à y ajouter le sacrifice de leur vie, sachant bien qu’ils combattaient pour une cause presque perdue, n’espérant même pas que leur courage servirait au salut de la France. Ils agissaient comme des marins qui, cernés par des forces supérieures à mille lieues de la patrie et sommés d’amener leur pavillon, n’y voudraient point consentir, et engageraient pour l’honneur du drapeau un combat désespéré, sans aucune chance d’être secourus ni même d’être vengés. C’est dans ces sentimens d’indomptable patriotisme que l’armistice les surprend aujourd’hui ; il arrache à la ruine ce que le canon prussien n’a pas encore détruit dans les murs de Longwy. Il serait assurément hors de propos de nous flatter nous-mêmes en ce moment et de nous dissimuler l’étendue de nos désastres. On nous permettra cependant, au milieu de ce naufrage momentané de notre grandeur nationale, de recueillir, comme des épaves qui porteront l’avenir, tout ce qui nous reste encore de nos anciennes vertus. Ce qui a survécu chez nous aux langueurs énervantes du régime