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1760, l’église luthérienne était tombée dans une sécheresse officielle et une sorte de marasme qui le désolait. La prédication, très généralement délaissée par le public, ne roulait que sur les subtilités dogmatiques les plus abstruses et les plus rebutantes ; l’enseignement de la jeunesse était dédaigné par les pasteurs et abandonné à des subalternes. Spener se dévoua modestement et avec un zèle admirable à l’instruction des enfans, et tint chez lui des conventicules ou réunions de piété où il répondait aux questions sérieuses de ses auditeurs, écartant avec soin les abstractions dogmatiques qui étaient en vogue, insistant sans cesse sur le côté pratique du christianisme, et substituant la lecture des Évangiles à celle des traités de dogme diffus et scolastiques. Ces réunions reçurent bien vite du pédantisme allemand un nom latin ; on les appela collegia pietatis, et de là vint le nom de piétistes donné à ceux qui les fréquentaient. Du reste, l’institution d’abord toute morale et religieuse de Spener ne tarda pas à dégénérer. Les piétistes se firent remarquer par des exagérations ridicules, une odieuse intolérance, le rigorisme le plus outré et une exaltation souvent affectée. Ces excès affligeaient le pauvre Spener, qui naïvement y voyait des ruses de Satan pour entraver son œuvre. Malgré sa douleur, ses infatigables efforts, les cent cinquante ouvrages qu’il écrivit et les nombreuses éditions qu’il donna de divers écrits édifîans de Luther, de Tauler, etc., le bon Spener laissa derrière lui non-seulement une large et utile réforme dans les mœurs et les idées du public religieux, mais un parti sectaire et bigot très éloigné de l’esprit du fondateur. Ce parti piétiste, représenté par la trop fameuse Gazette dite de la Croix (Nouvelle gazette de Prusse), est un des fléaux de l’Allemagne moderne.

Pour définir ce parti, nous pourrions dire, en empruntant à Varnhagen sa méthode arithmétique : Prenez un quart de la dévotion âpre et outrée des jansénistes, un quart de la hauteur à la fois inflexible et doucereuse de la cour de Rome, un quart de la virulence de certains journaux dévots de Paris, et un quart au moins de l’esprit d’intrigue et de domination peu scrupuleuse des jésuites, vous aurez un parfait piétiste. Si ce parti ne dit pas précisément que la forme prime le droit, il paraît croire que le droit divin a naturellement et surnaturellement la force en main, qu’il faut que tout lui cède, que le fer et le feu sont les instrumens légitimes de son avènement et de son règne. Devant lui, tout doit plier, tout doit obéir. Auprès de lui, la bonté, l’art, le goût, ne sont que des faiblesses ; la science est un outil, la politique un moyen un peu lent ; le sabre, le canon, le bombardement, sont les moyens directs d’asseoir sur l’Allemagne d’abord, sur l’Europe et le monde ensuite, la prédominance, l’hégémonie de la Prusse : Dieu le veut ! À ces desseins