Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prit de savant encyclopédiste et de brillant causeur. Nous avons entre les mains beaucoup de ses lettres inédites et autographes, souvent pétillantes de malice et de verve, mais toujours pleines de doléances quand son service et son roi le rappellent dans sa morne et sèche patrie.

Nous pardonnera-t-on d’appliquer ici aux Prussiens un mot naïf et populaire, qui est suisse et non français, mais qui n’a d’équivalent dans aucune langue ? Le peuple moqueur de Genève a fait du verbe grimper une épithète dédaigneuse pour les aristocrates d’étage inférieur, toujours ambitieux de s’élever d’un cran sur une échelle imaginaire ; il les nomme les grimpions. Cette épithète, toute la Prusse la mérite, depuis le soldat qui veut être sergent jusqu’au roi qu’on a voulu voir passer empereur. Ce titre impérial a conservé dans les vagues imaginations germaniques un reflet de la grandeur romaine, à demi classique, à demi féodale, telle que se la représentait le moyen âge. Spire est célèbre par sa magnifique cathédrale, récemment restaurée à grands frais et qui porte le nom pompeux de Kaiserdom, cathédrale des empereurs. Il nous semblait naguère, en la parcourant, que Dieu, Jésus-Christ, la Vierge, y étaient de trop, que les empereurs d’Allemagne seuls s’y trouvaient chez eux et y recevaient un culte. Quelques-uns ont été la nullité même, d’autres n’ont mérité que le blâme ; n’importe, une érudition confuse, une superstition rétrospective et populaire les a tous couronnés d’une sorte d’auréole nationale et religieuse.

Que les goûts les plus belliqueux s’allient à l’esprit de système et à cette lourdeur de pensée qu’on appelle le pédantisme, on le conçoit ; mais il est peut-être plus difficile de comprendre l’intime alliance du piétisme avec la passion de la guerre. Essayons cependant d’expliquer cette alliance très réelle. Il faut bien nous en rendre compte, quelque étranger que nous soit cet ordre d’idées, si nous voulons connaître l’ennemi auquel nous avons affaire. Cet ennemi n’est pas seulement sabreur et pédant, il est dévot, il est piétiste. Le piétisme allemand représente de longue date une tendance funeste et envahissante qu’il est nécessaire de combattre sans relâche sous peine d’en être débordé et anéanti. Et pourtant, car il faut être juste, le mot piétisme n’est pas nécessairement synonyme de fanatisme. Le premier auquel on appliqua la dénomination de piétiste fut un homme excellent, médiocrement éclairé, mais d’un grand cœur, d’une parfaite simplicité et de la droiture la plus irréprochable. Né en Alsace avant que cette province fût cédée à la France, Spener était un pasteur sans talent oratoire, sans prétention savante, mais plein de dévoûment et de zèle. Quand il se fit connaître, vers