Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les césars. L’église avait en effet hérité de la Rome païenne, elle s’en était approprié la langue, elle en avait adopté la hiérarchie administrative, elle en avait même conservé le culte et les cérémonies quant aux pompes extérieures. En Italie, comme dans les Gaules, c’était dans la religion que la vieille nationalité avait trouvé un refuge. Pour dominer en Italie, il fallait donc alors dominer le souverain pontife, et, en le tenant sous leur dépendance, les empereurs germaniques étaient assurés de rester maîtres de la terre romaine. Aussi tous leurs efforts tendirent-ils vers ce but ; mais la papauté résista toujours avec énergie et souvent avec succès. De là cette grande querelle des investitures qui se prolongea près d’un siècle et demi. Quand l’empire eut grandi, quand sous les Hohenstaufen il afficha de plus ambitieuses visées, la lutte ne se borna plus à une querelle entre les empereurs et les papes. Les premiers tinrent presque toute la presqu’île dans leur main sans réussir pourtant à l’étreindre suffisamment pour qu’elle ne pût leur échapper. L’Allemagne, qui reproche avec tant de colère à la France son ambition, a un peu trop oublié ces pages de son histoire.

L’intervention des empereurs dans les affaires de l’Italie fut donc un puissant dérivatif à l’antagonisme de la France et de l’Allemagne. Nos modernes politiques n’y ont pas pris garde ; l’Allemagne, une fois qu’elle se voit fermée la porte de l’Italie, se retourne contre la France. Ce qu’elle appelle aujourd’hui son libre développement, son droit d’expansion, qui n’est en réalité que sa tendance envahissante, trouvant une digue au sud, se porte alors à l’ouest. Pendant les deux siècles qui suivirent la chute des Hohenstaufen, la France et l’Allemagne, livrées à des déchiremens, à la rivalité des grands vassaux, ayant à faire face à des périls de toute sorte, ne songèrent guère à s’attaquer ; l’invasion germanique sur notre frontière semblait à tout jamais arrêtée, parce qu’elle prenait un autre cours. Au xive siècle, l’ordre des chevaliers teutoniques avait imposé par les armes la foi chrétienne aux populations slaves de la Prusse et finnoises de la Courlande et de la Livonie. Ils avaient implanté sur le littoral sud-est de la mer Baltique la langue et les institutions de l’Allemagne, y amenant d’industrieux colons qui dépossédaient les grossiers et ignorans indigènes. En même temps la Bohême, la Moravie, la Lusace et d’autres contrées slaves associées de plus en plus aux destinées de l’empire recevaient de nombreuses immigrations allemandes ; elles se germanisaient comme les populations que le flot de l’invasion vende avait fait jadis avancer jusqu’à l’Elbe à la Saale et à la Regnitz. Dès la fin du xiie siècle, les rois de Bohême étaient vassaux de l’empire. Cependant ce pays était rattaché à l’Allemagne plutôt par un lien politique que par les institutions, et il ne constitua jamais en réalité une partie intégrante de la nation