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tement de Philippe dans un nouveau pamphlet où le peuple est censé réclamer encore, et où la doctrine que le laïque doit intervenir quand les ecclésiastiques ne font pas leur devoir est exprimée avec une hardiesse qui n’a été dépassée que par les réformés du xvie siècle. Les templiers sont des apostats. Moïse, sans demander le consentement de son frère Aaron, fit égorger vingt-deux mille apostats, et pourtant Moïse n’était que législateur ; il n’était pas prêtre. Il est indispensable que le roi très chrétien obtienne la suprême béatitude promise par Dieu à ceux qui font justice en tout temps. Il doit se passer du pape, et punir tes templiers sous peine d’amener le règne de l’Antéchrist.

Les trois mémoires précédens ont été évidemment écrits entre les années 1308 et 1312. Il est clair qu’il faut les rapporter à l’an 1308, et qu’ils furent répandus dans le public lors de la tenue des états-généraux de Tours. Pierre Du Bois doit donc être placé en première ligne parmi ceux qui provoquèrent la destruction de l’ordre du Temple. En cela, il était conséquent avec les principes qu’il exposait déjà en l’année 1300, qu’il répétait en 1306, et d’après lesquels le roi de France devait s’emparer des biens des religieux qui ne faisaient pas un bon usage de leur fortune et fondre tous ces instituts en un seul ordre pensionné par l’état Les atroces cruautés et les calomnies dont on usa envers l’ordre du Temple furent ainsi son ouvrage ou le fruit de ses conseils. Des abus portés au comble appelaient des remèdes violens, et l’historien moderne doit être indulgent pour le publiciste qui, au sortir d’une époque comme celle de saint Louis et de Philippe le Hardi, conseilla au pouvoir civil des mesures radicales ; mais une tache sanglante doit rester à jamais imprimée sur la mémoire du légiste qui, pour faire prévaloir des plans louables à quelques égards, conseilla d’atroces supplices contre des personnes innocentes, au moins des crimes dont on les accusait, contribua à propager de folles imaginations populaires et invoqua comme exemple à suivre les plus odieux massacres de l’ancienne théocratie.

En l’année 1308, Pierre Du Bois paraît avoir été au plus haut degré de son crédit auprès de Philippe. En cette année, l’empereur Albert d’Autriche ayant été assassiné, et Clément V se trouvant à Poitiers entre les mains de Philippe le Bel, Du Bois proposa au roi de profiter de l’occasion pour se faire élire empereur. Il répondait en cela à une des constantes préoccupations de Philippe, toujours poursuivi par le souvenir de Charlemagne, dont il se prétendait le descendant, toujours attentif à étendre l’influence de la France en Allemagne, à gagner les villes et à pensionner les princes des bords du Rhin. Ne comptant pas sur les suffrages des électeurs, Du Bois engageait Philippe à exiger de Clément V la suppression des électeurs et à se faire nommer directement par le pape. On sait que Bo-