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ric avait fait peindre sur le mur d’un de ses palais les dames de la cour, en grand falbalas et déjà en robes en panier, allumant la pipe des généraux en grand uniforme. C’est assez bien l’image de ces soldats superficiellement lettrés qui lisaient les tirades philosophiques de Voltaire et déchiraient sans pitié leur part de la Pologne. Souvent ils n’ont pas même les simples sentimens de la nature. Le père du grand Frédéric, ce roi qui prenait tant de plaisir à composer un régiment d’hommes de six pieds, détestait son fils. Il faut lire dans les mémoires de la sœur bien-aimée de Frédéric, la margrave de Baireuth, comment les deux enfans étaient traités par leur père ; ce fut au point qu’avec la complicité de son ami Katt, le petit-fils du maréchal de Wartensleben, Frédéric voulut s’enfuir en Angleterre. Le prince fut incarcéré dans la forteresse de Cüstrin par ordre du roi, et forcé de se mettre à la fenêtre pour assister à l’exécution de son ami, qui fut torturé, décapité, et dont le corps fut laissé un jour entier à cette place, devant la prison, pendant que le bourreau allait demander au vieux maréchal de payer son salaire. Élevé à une si rude école, Frédéric II ne fut pas plus tendre pour son frère, qui devait lui succéder, puis, après la mort de celui-ci, pour son neveu, l’indolent et bizarre Frédéric-Guillaume II, qui régnait depuis sept ans lorsque la princesse Louise fit son entrée à la cour.

Frédéric-Guillaume II, grand-père du roi actuel, était de haute stature et fort gras, du moins à la fin de sa vie. Il avait un assez beau visage ; il était simple de manières, comme tous les Hohenzollern, et les habitans de Berlin, qui avaient vu si souvent passer le grand Frédéric avec ses levrettes, connaissaient les gros chiens, compagnons habituels de son neveu. Il était d’ailleurs brave, bon, accessible à l’honneur et à la pitié, dévot, illuminé même à ses heures, plus souvent ami des plaisirs. Marié, puis divorcé, remarié et en même temps bigame, comme l’ancien landgrave de Hesse, en vertu d’une consultation théologique, Frédéric-Guillaume II changea aussi souvent de femmes que de ministres favoris. On sait trop que la politique et les talens militaires de ce roi ne valurent pas beaucoup mieux que sa morale, et l’on comprend quelle joie dut éclater à Berlin lorsqu’on vit en 1797 le prince royal, grave, modeste dans ses mœurs, studieux et bon, monter sur le trône, et y conduire la belle et bonne reine Louise. C’était un Louis XVI et une Marie-Antoinette remplaçant le Louis XV taciturne de la Prusse au milieu d’un peuple encore fidèle.

Du moins Frédéric-Guillaume II laissait à ses enfans et à ses héritiers la paix, une paix peu glorieuse (traité de Bâle, 1794), mais qui l’avait dégagé à temps des grandes guerres qui ébranlèrent le reste