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née 1801, qui vit célébrer le centième anniversaire de l’avènement de l’électeur Frédéric Ier au rang de roi, et naître le troisième fils de la reine Louise, le prince Charles, père du feld-maréchal Frédéric-Charles.

Des fêtes autour d’un trône, des guirlandes sous les pas des rois et des reines en 1793, entre le meurtre de Louis XVI et celui de Marie-Antoinette, pendant que l’on décrète à Paris le culte de la déesse Raison, en 1795, pendant les dernières séances de la convention, un tournoi en 1799, pendant la bataille d’Aboukir, à la dernière année du xviiie siècle ! On croit rêver en rapprochant ces dates, on se demande si la Prusse fait partie de la même planète que la France, pourquoi la France souffrait pendant que la Prusse était dans la joie ; mais les rôles seront bientôt intervertis. Avant de raconter ce brusque changement de scène, pénétrons un moment dans l’intérieur de cette cour de Berlin, au milieu de laquelle la reine Louise était descendue, selon l’expression de Goethe, comme une apparition céleste, — cour bizarre, dont les vices et les travers, aussi bien que les qualités sérieuses, aident à comprendre les alternatives incroyables de fortune et de décadence, les brusques soubresauts qui, de Rosbach à Iéna, de Waterloo à Sadowa, ont, depuis un siècle et demi, fait l’histoire incohérente et la croissance extraordinaire de la nation prussienne.

Les quatre rois de Prusse qui se sont succédé depuis 1701 se ressemblent tous par un côté. On pourrait, en jouant sur les mots, les appeler d’excellens intendans militaires, car ils furent tous habiles intendans et braves militaires, occupés d’amasser de l’argent et de former des armées, de laisser à leurs descendans des territoires, des finances et des régimens. À ces passions dominantes s’ajoutèrent parfois le goût des lettres et des mouvemens intermittens de dévotion ; mais ce sont là des accidens, des concessions à l’usage du temps, comme l’introduction dans leur palais de l’étiquette de Versailles, ou des conversions de vieillard, ornemens d’emprunt plus ou moins bien surajoutés aux dispositions foncièrement naturelles, parure de surface qui ne décore pas d’ailleurs également ces quatre rois. Frédéric Ier aimait les lettres, il favorisa Leibniz. Son fils, Frédéric-Guillaume Ier, n’aimait que ses casernes et son trésor. Le grand Frédéric II, on le sait assez, réunissait l’une et l’autre passion ; mais, encore une fois, le fond est âpre et dur, le dessus est revêtu d’une couche bien mince de civilisation occidentale, empruntée à Londres ou à Paris. Les Prussiens, pendant tout le cours du xviiie siècle, à la cour ou dans les camps, sauf un petit nombre d’exceptions, n’ont vraiment été que des demi-barbares dressés aux belles manières de Versailles. Le premier Frédé-