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précoces du commencement de décembre se firent sentir, les approvisionnemens se trouvaient déjà fort réduits. Le gouvernement, qui croyait encore à la vertu des « réquisitions » pour chauffer le peuple aussi bien que pour le nourrir, se hâta de réquisitionner les houilles, les cokes et les bois nécessaires à la boulangerie ; plus tard, il y ajouta même la réquisition des asphaltes (par un décret du 7 janvier). Aussitôt la panique se mit parmi les consommateurs, tandis que les détenteurs de combustibles s’efforçaient de leur côté de dérober leurs approvisionnemens à cette demi-confiscation. On vit en conséquence le prix du bois s’élever du taux ordinaire de 5 fr. les 100 kilos à 12 fr., 15 fr, et davantage encore. La compagnie du gaz ayant suspendu sa fabrication, il n’y avait plus de coke, et le charbon de terre devenait introuvable. Sur ces entrefaites, le thermomètre descendait à 10 et 13 degrés au-dessous de zéro.

Le gouvernement s’efforçait à la vérité de corriger les effets de la réquisition en ordonnant la mise en coupes réglées des bois de Boulogne et de Vincennes (par un décret du 24 décembre), et le Journal officiel déclarait en prose poétique que « ces abatis, conduits avec résolution et discernement, concilieraient, autant que faire se pourrait, les nécessités de la crise présente avec la conservation de cette couronne de verdure qui est l’orgueil de notre chère cité, mais que nous ne devions pas hésiter à sacrifier pour la défense de la république et de la patrie. » Seulement les « abatis » se faisaient lentement, et d’ailleurs la couronne de verdure qui est l’orgueil de notre chère cité ne fournissait que du bois vert, c’est-à-dire un assez pauvre combustible. Le froid devenant de plus en plus intense, dans la semaine de Noël, la foule se rua sur les clôtures en planches, les matériaux de construction, les échafaudages : une bande envahit dans le XIe arrondissement un chantier de bois qu’elle mit au pillage. Ailleurs, on sciait les arbres des promenades publiques sans que les gardes nationaux eussent le pouvoir et parfois même la volonté de s’y opposer. Nous ne dirons rien des gardiens taciturnes de la paix publique, dont la consigne. paraît avoir été, pendant toute la durée du siège, de ne point compromettre le prestige de l’autorité dans les bagarres et de laisser faire. Parmi les pillards, il y avait sans doute un certain nombre de malheureux exaspérés par le froid et par les « queues, » et en faveur desquels on pouvait invoquer les circonstances atténuantes ; mais les bandes qui dévalisaient les chantiers se recrutaient principalement parmi les malfaiteurs de profession ou parmi les « chapardeurs, » qui allaient naguère récolter dans la banlieue des pommes de terre et des mobiliers. Dans le IXe arrondissement, un charbonnier se distinguait parmi les plus actifs et les plus expérimentés de ces pillards ; une de ses clientes le reconnut, et la foule scandalisée se partagea le butin qu’il avait mis en sûreté dans son magasin.

Heureusement la température s’adoucit un peu dans les premiers jours de janvier, les souffrances devinrent moins vives, et la masse de