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Journal officiel nous a fourni, à la vérité, une explication de ce retard, et cette explication est assez caractéristique pour être citée. « Il faut, dit l’organe du gouvernement, que le public se rende compte de la difficulté principale que rencontrent les distributions de cette espèce : le problème consiste à composer deux millions de rations avec des denrées de nature extrêmement diverse, de quantités très inégales. C’est pourquoi le plus grand nombre des maires ont cru devoir attendre pour la répartition l’arrivée de la totalité des offrandes. » Les expéditeurs de Londres semblent heureusement avoir prévu que l’administration parisienne aurait quelque problème à résoudre avant de procéder à la répartition de leur cadeau, car ils l’ont composé de denrées faciles à conserver, telles que biscuits, poissons salés et fromages ; mais il n’en est pas moins fâcheux, on en conviendra, pour les pauvres affamés du siège, que l’administration soit si lente à résoudre ses problèmes, et qu’il faille infiniment plus de temps pour distribuer les denrées du ravitaillement à Paris qu’il n’en a fallu pour les réunir à Londres.

Cette même lenteur, le gouvernement l’a mise à lever les divers et nombreux obstacles qui avaient été opposés, pendant la durée du siège, à la circulation et au commerce des denrées alimentaires. C’est le 7 et le 8 février seulement que les grains et farines, les chevaux, introduits dans Paris, la viande de porc, les cokes, etc., ont cessé d’être soumis au droit de réquisition, et c’est à partir du 10 que le pain n’a plus été « officiellement » rationné ; officiellement, disons-nous, car le gouvernement, ne livrant point aux boulangers toute la quantité de farine qu’exigerait la consommation, le rationnement existe encore en fait, et les « queues » continuent à se dérouler comme d’habitude aux portes des boulangeries incomplètement pourvues. Paris ravitaillé conserve, hélas ! après quinze jours, la même physionomie que Paris assiégé ; les véhicules de toute sorte y sont même devenus plus rares, il n’est pas question encore du retour du gaz, et l’on s’aperçoit trop que le « problème » du ravitaillement est loin d’être résolu pour les subsistances. Chose triste à dire : pendant un demi-siècle nous avons vanté la perfection de notre police et de notre administration, et voici qu’au moment même où ces institutions, « que le monde nous envie, » nous seraient le plus nécessaires, elles nous font défaut. La police laisse piller les pavillons des halles et dévaliser les maraîchers sous les regards de ses gardiens mélancoliques, l’administration se pose des problèmes qu’elle ne résout pas. C’est un effondrement lamentable de tout ce qui est organisation officielle, militaire ou civile. Heureusement l’activité privée nous reste, et elle suffira bien, si on la laisse faire, à ravitailler Paris et la France.

G. de Molinari.