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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février 1871.

Le moment viendra bientôt, nous l’espérons, où la France, délivrée de l’irritante surveillance d’un implacable ennemi et laissée seule en tête-à-tête avec elle-même, pourra sonder ses misères et songer à les réparer. Ce moment n’est pas venu, notre sol n’est pas libre, nos cœurs sont sous le poids de l’invasion, et nous pouvons à peine voir des yeux de l’esprit au-delà de cette sphère restreinte où nous vivons captifs depuis cinq mois. Nous sommes encore aujourd’hui dans un de ces états dont on sent l’amère gravité et qu’on ne peut trop définir. Ce n’est point la guerre, puisque toutes les hostilités sont suspendues, puisque le bruit lugubre du canon a cessé dans nos campagnes comme sous nos murs ; ce n’est point la paix non plus, puisque rien n’est décidé, puisque nous ignorons jusqu’aux conditions qu’on met au rétablissement de cette paix qui est pourtant dans l’intérêt de l’Allemagne aussi bien que dans l’intérêt de la France ; c’est un armistice, dernier mot de nos désastres, de nos espérances trompées, et d’une défense jusqu’ici malheureuse. Nous avions trois semaines pour nous mettre en état de prendre une résolution. Plus de quinze jours sont déjà passés ; pendant ce temps, des élections se sont faites. L’assemblée sortie du scrutin vient de se réunir à Bordeaux, et se complète d’heure en heure par l’arrivée des nouveaux élus, qui ont à se frayer un chemin à travers les lignes ennemies, par des voies de communications souvent interceptées. M. Jules Favre, comme chef civil du gouvernement de la défense nationale, est allé assister à cette première entrevue des représentans de la France, qui se retrouvent après des malheurs qu’on n’aurait point osé prévoir.

Jamais en effet une assemblée française ne se sera réunie dans des circonstances plus cruellement exceptionnelles ; de quelque côté qu’elle tourne ses regards, elle ne rencontre que le deuil et l’incertitude : le pays submergé jusqu’à la Loire par le flot de l’invasion allemande, nos citadelles occupées, Paris réduit à vivre depuis le 28 janvier sous la me-