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cette amertume se soient résignés sans douleur, et qu’il n’y ait pour dégager sa responsabilité qu’à se dérober à ces épreuves d’un jour de défaite, à s’évader d’un gouvernement en se réservant l’avantage d’un rôle populaire ? Si M. Gambetta avait réfléchi un peu plus, s’il s’était inspiré un peu plus d’un vrai patriotisme et un peu moins de préoccupations toutes personnelles, il n’aurait pas fait ce qu’il a fait, et il aurait pu certainement être utile au pays dans cette phase nouvelle de nos disgrâces. Il aurait compris que ce n’était pas le moment de livrer à l’aventure ce qui nous reste de gouvernement, que, sans abdiquer ses ardeurs patriotiques, il pouvait au contraire rendre plus de services en demeurant dans ce gouvernement même comme l’expression vivante d’une politique résolue à ne déposer les armes que devant une paix honorable, en montrant à l’Europe, à l’ennemi lui-même que la France serait prête encore à subir toutes les extrémités d’une guerre à outrance, si on voulait lui imposer des conditions trop dures, trop humiliantes pour sa fierté. Il aurait compris que, dans de telles circonstances, faire appel à la souveraineté nationale, convoquer une assemblée, c’était s’assurer une force immense, l’unanime concours du pays dans la lutte nouvelle à laquelle on pourrait être provoqué par les prétentions du vainqueur. Puisqu’il avait eu jusqu’ici la bonne fortune d’être la personnification la plus accentuée des sentimens patriotiques du pays, de représenter une politique qui ne consent pas à désespérer de la France, il n’avait qu’à rester ce qu’il était. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que M. Gambetta n’a rien vu dans tout cela ; il n’a pas compris le rôle que lui créaient les circonstances, et aussitôt, sans plus attendre, il s’est jeté dans une politique de déclamations et de sorties furieuses allant véritablement jusqu’à l’iniquité. — Peu s’en faut qu’il n’ait accusé le gouvernement de Paris de trahison ; il lui a tout au moins reproché « une coupable légèreté » dans la négociation de l’armistice du 28 janvier. Le gouvernement de Paris, qui est réduit à essuyer bien d’autres reproches, s’est révolté contre celui-là ; il a relevé avec fierté cet injuste défi qu’on lui lançait. Nous le comprenons bien.

Quel droit avait en effet M. Gambetta de se laisser aller à ces précipitations passionnées de jugement ? De son propre aveu, il parlait de ce qu’il ne savait pas ; il était loin, il ne pouvait se rendre compte de la situation réelle de Paris, qu’il n’entrevoyait qu’à travers ses illusions ; il ne pouvait apprécier dans toute leur gravité et dans toute leur étendue les nécessités pénibles devant lesquelles avaient dû plier ses collègues. Il ne savait qu’une chose cruelle, inexorable, c’est que Paris tenait depuis près de cinq mois déjà, et ne pouvait en définitive tenir éternellement, — c’est que la résistance parisienne, si opiniâtre qu’elle fût, ne pouvait être efficace que si elle était secondée par l’approche d’une armée de secours, dégageant victorieusement nos communications, arrivant sous nos murs avant l’épuisement de nos vivres. Or il savait