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mieux que personne quelle chance il y avait de venir à notre aide. Que pouvait ce malheureux gouvernement enfermé dans Paris ? S’il tournait ses regards vers les provinces, il voyait s’évanouir pour le moment toute espérance. Chanzy, on le savait déjà, venait d’être rejeté au-delà de la Mayenne après une série de combats aussi honorables que désastreux. Faidherbe, qui s’était avancé, qui s’était dévoué, comme il l’a dit, pour venir en aide à la dernière tentative de l’armée de Paris, Faidherbe était de nouveau forcé de se replier vers le nord après la bataille de Saint-Quentin. L’armée de Bourbaki, lancée dans sa grande aventure de l’est, venait d’échouer dans ses tentatives énergiques pour dégager Belfort ; elle avait commencé déjà cette retraite désespérée qui a conduit son malheureux général à un suicide de désespoir, et qui en fin de compte n’a laissé à 80,000 de nos soldats d’autre alternative que de chercher un refuge en Suisse. Si le gouvernement tournait ses regards sur Paris, il voyait les vivres s’épuiser, la famine approcher d’heure en heure. Il hésitait encore, dit-on, il ne pouvait se résigner à traiter ; il s’abandonnait lui-même, et il abandonnait Paris à une sorte de fatalité, lorsque M. Jules Favre, mis en présence de cette situation extrême, prenait courageusement la responsabilité d’aller à Versailles chercher le moyen d’arracher à la faim menaçante une population de deux millions d’âmes.

Voilà la vérité aussi douloureuse que simple. On aurait dû consulter la délégation de Bordeaux, à ce qu’il paraît ; on ne l’a pas fait, on n’a pas pris son avis ; M. Gambetta s’en plaint vivement. C’est sans doute un malheur qu’on n’ait pas consulté M. Gambetta ; après cela, comment aurait-on fait pour le consulter ? On lui aurait expédié un ballon qui aurait eu la chance d’aller tomber en Belgique, et de là les dépêches seraient revenues à Bordeaux ; à son tour, M. Gambetta nous aurait expédié des pigeons qui seraient arrivés quand ils auraient pu, peut-être quinze jours après leur départ. À voir comme l’on s’entend aujourd’hui, il est présumable qu’il aurait fallu négocier entre Bordeaux et Paris avant de se mettre d’accord ; pendant ce temps, le dernier morceau de pain eût été rapidement épuisé, et tout aurait été fini ; il est vrai que la délégation de Bordeaux aurait pu donner sa consultation. Ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’avec ce procédé de négociation M. Gambetta nous préparait la famine, certaine, impitoyable, et que depuis l’armistice il n’a pas tenu à lui que le ravitaillement ne fût suspendu. Il ne paraît pas au reste s’être inquiété beaucoup de ce résultat, ou du moins, s’il l’a entrevu, il en a pris son parti, lui aussi, « d’un cœur léger. » De deux choses l’une : ou M. Gambetta, qui accuse les autres de légèreté, s’est montré lui-même étrangement léger dans tout ce qu’il vient de faire, ou bien il a porté dans ses derniers actes un calcul plus profond qui ne vaudrait guère mieux que de l’étourderie. M. Gambetta a pu se dire que