Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des idées dont la réalisation en Europe n’eût pu être proposée sans danger. Dès la première moitié du xiiie siècle, vers 1223, la « Complainte de Jérusalem » présente la même association d’idées, un zèle extrême pour les croisades, une haine implacable contre la cour de Rome et le clergé. L’auteur de la complainte n’est pas loin de la solution de Pierre Du Bois ; il appelle de ses vœux un Charles Martel, qui applique les forces chrétiennes à leur véritable objet, dont le clergé les détourne.

Le plan d’instruction publique mis en avant à ce propos par Du Bois montre que pas une des parties de la constitution d’un état moderne n’échappait à ce lucide et pénétrant esprit. Il veut que les femmes soient aussi instruites que les hommes. Le cadre des sciences qui doivent être enseignées est naturellement celui que l’on concevait de son temps ; mais la distinction des degrés divers d’instruction, ainsi que des parties générales et des parties professionnelles, y est bien faite. Du Bois semble concevoir les écoles publiques comme des pépinières dont l’état choisirait les sujets et les appliquerait selon ses besoins et selon leur capacité. Toutes les sciences doivent être mises à la portée des laïques, même des femmes, au moyen d’abrégés, de Sommes, comme on disait alors. Du Bois ne parle jamais des universités ; il ne paraît pas fonder sur elles de grandes espérances.

La politique extérieure de Du Bois est celle d’un partisan fanatique de la maison royale de France. Il rêve pour cette maison la domination universelle ; mais comme Du Bois n’est nullement belliqueux, c’est par la diplomatie qu’il espère réussir. Son principal moyen d’exécution est que le roi s’empare du pape, et se fasse vicaire du saint-siège pour le temporel. La politique qui triompha par l’élection de Clément V, qui attira la papauté en France et l’y retint un siècle, est chez lui nettement raisonnée. Maître du pape, qui sera sa créature, le roi de France deviendra tout-puissant en Italie, et du même coup suzerain de tous les pays qui sont vassaux du pape, Naples, la Sicile, l’Aragon, l’Angleterre, la Hongrie. La Lombardie relève de l’empire ; mais on obtiendra facilement la cession d’un pays toujours en révolte. Les Lombards résisteront ; on les domptera. Du Bois partage l’antipathie de Nogaret contre les républiques marchandes de l’Italie. En Espagne, une intervention armée en faveur des infans de La Cerda, petits-fils de saint Louis, qu’on obligerait à prêter serment au roi, assurerait l’influence française. Le mariage de Charles de Valois avec l’héritière de l’empire latin de Constantinople, ou bien un empire créé en faveur de Philippe le Long, fera tomber l’Orient dans le vasselage de la France. Quant à l’Allemagne, on pourrait au moins s’en faire une alliée en aidant la