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relle et italienne ; l’envahissement de la catholicité par les Italiens lui est antipathique. Toute l’église, depuis son chef jusqu’au plus humble de ses membres, a besoin d’être réformée. Les biens des évêques doivent être donnés à des laïques, qui leur fourniront une redevance. Le célibat des prêtres est funeste, puisque peu l’observent en réalité. Les empiétemens des officialités depuis saint Louis ne sont pas moins fâcheux. Du Bois propose pour arrêter le mal les remèdes les plus énergiques. L’excommunication l’effraie ; mais elle ne l’arrête pas, puisque celui qui a encouru l’excommunication injustement peut n’en pas tenir compte.

Du Bois est encore moins favorable au clergé régulier qu’au clergé séculier. Il est surtout hostile aux bénédictins ; au contraire les dominicains et les franciscains le trouvent assez favorable, et il s’appuie souvent sur leur autorité. Les biens des couvens, comme ceux des évêques, doivent être donnés en emphytéose à des laïques, qui paieront des rentes. Les biens des moines en réalité appartiennent aux pauvres ; les moines n’ont droit de prélever pour eux que le nécessaire. On ne peut tolérer que les pauvres aient faim et froid à côté de moines qui thésaurisent. Le nombre des religieuses est trop considérable ; tous les couvens de femmes ont pour obligation de concourir à l’éducation des jeunes filles pauvres. Les ordres militaires doivent être supprimés, et leurs biens seront employés à procurer efficacement la conquête de la terre-sainte.

Cette conquête de la terre-sainte est, comme on le sait, l’idée dominante de Pierre Du Bois. Nous croyons qu’il ne faut pas la prendre trop au sérieux ; c’est là, ce semble, un prétexte dont il se sert pour faire passer ses idées les plus téméraires, et aussi pour satisfaire l’avide fiscalité de Philippe le Bel. Du Bois était un chrétien convaincu, et sûrement il tenait comme tout le monde à la conquête du tombeau de Jésus-Christ ; seulement il s’en faut que ce fut là sa maîtresse pensée. Quand il indique avec tant de développement les moyens de reconquérir la Palestine, il a en vue beaucoup plus les moyens que la fin. Supposons que ses vues eussent été réalisées ; le roi conseillé par lui, devenu comme Charlemagne chef de toute la chrétienté occidentale, fût-il parti pour la Palestine ? Nous ne le croyons pas. Il eût joui des revenus ecclésiastiques, de sa primatie dans l’église, et par l’église de sa primatie en Europe, et tout se fût borné là. Il eût allégué et au besoin créé des difficultés insurmontables pour ne point partir ; il eût gardé l’argent, et n’eût pas fait l’ouvrage. On peut même dire qu’en général les projets de croisades ne sont sous la plume de Du Bois que des occasions pour développer ses plans de réforme les plus risqués. La future constitution de la terre-sainte est comme une utopie autour de laquelle son imagination se complaît, et qui lui donne lieu d’énoncer