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ministre de la marine donnait plus de satisfaction à l’opinion publique ; par malheur, voici qu’aux premiers gros temps de l’hiver, un vaisseau cuirassé de nouvelle construction, le Captain, sombre corps et biens en pleine mer à son premier voyage d’essai. Ce ne fut pas alors parce que le Captain avait coûté 8 ou 10 millions de francs, ni même parce que cinq cents marins trouvaient la mort dans cette douloureuse catastrophe, que le mécontentement public se fit entendre ; ce fut parce qu’un si grand échec était de nature à faire douter que les autres bâtimens de la flotte eussent toutes les qualités nautiques et militaires que les déclarations officielles se plaisaient à leur attribuer. Le sinistre du Captain est un événement dont M. Childers, le ministre de la marine, aura peine à se disculper. Que reste-t-il donc pour donner du relief au cabinet britannique en ce temps d’effroi ? Assurément ce n’est pas lord Granville, dont les dépêches diplomatiques ne semblent avoir d’autre but que de remettre les difficultés au lendemain, et qui d’ailleurs, a montré plus d’entêtement que de perspicacité dans ses démêlés avec la Nouvelle-Zélande, alors qu’il était ministre des colonies.

On ne peut imaginer rien de plus embarrassé que les phrases du discours de la reine relatives à cette question capitale de l’organisation militaire. « Les leçons de l’expérience que nous donne la guerre actuelle sont nombreuses et importantes. Le temps me paraît opportun pour mettre ces leçons à profit en faisant des efforts plus accentués que jusqu’ici pour réaliser des progrès pratiques. En y travaillant, vous ne perdrez pas de vue les traits distinctifs de la situation de notre pays, qui sont si favorables à la liberté et à la sûreté de la population. » Quels sont donc ces traits distinctifs de l’Angleterre ? Les ministres de la reine ont-ils entendu désigner par là, comme M. Gladstone dans l’article de la Revue d’Edimbourg déjà cité, le ruban de mer qui sépare les îles britanniques du continent ? Mais non, dans la pensée des hommes d’état qui gouvernent la Grande-Bretagne, le trait distinctif est l’horreur qu’inspire à nos voisins le service militaire obligatoire, l’impôt du sang. Les ministres désespèrent, on le sent, de faire accepter une telle charge à leur pays. Si les renseignemens qui nous arrivent sont exacts, le projet de M. Cardwell n’est pas en effet la réforme radicale que l’on attendait : suppression de la vénalité des grades, augmentation de la milice, reconstitution des approvisionnemens, tels seraient les caractères principaux de la nouvelle loi militaire destinée à rendre à l’Angleterre le rang qu’elle aurait dû toujours occuper dans le monde. Qui voudra croire que c’est suffisant ?

Ainsi M. Gladstone et ses amis ne représentent plus l’opinion du jour, c’est incontestable, car ce sont des ministres de paix et non