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de cent mille âmes : la première batterie devait être livrée dans un délai d’un mois. Pour faciliter cette prescription, par une réminiscence révolutionnaire qui montre combien nos gouvernans étaient peu au courant du mouvement industriel au xixe siècle, les fabriques des églises étaient conviées à offrir leurs cloches pour fondre des canons. Telles étaient quelques-unes des mesures qu’enfantait la verve organisatrice de M. Gambetta.

Sur le terrain pratique, ses efforts n’étaient pas moindres ; mais ils avaient de plus sûres et de plus promptes conséquences. Les mobiles étaient tirés de l’oisiveté des villes, où ils se démoralisaient sans perfectionner leur éducation militaire, et envoyés aux armées ou dans des localités voisines de l’ennemi. On faisait rechercher rigoureusement les officiers et les soldats du 96e régiment échappés de Strasbourg. Les troupes d’Afrique, zouaves, turcos, cavaliers, étaient appelées sur la Loire. De larges emprunts étaient faits à la marine en matériel et personnel. Le contre-amiral Jauréguiberry, le capitaine Jaurès, beaucoup d’autres marins encore étaient appelés au commandement de divisions, et bientôt de corps entiers. L’on avait eu l’idée ingénieuse de diviser l’armée en deux parties : l’armée régulière et l’armée auxiliaire, et de donner provisoirement, même dans l’armée régulière, des grades nécessités par le manque de cadres, mais qui ne devaient être rendus définitifs que par des actions d’éclat. Tous nos corps étaient renforcés. Dans l’est, nous avions, disait-on, 40,000 hommes, et le général Cambriels allait y être remplacé par le général Michel, ce qui devait être tout profit d’après certaines feuilles démocratiques, ce dernier officier « étant républicain et libre penseur. » Bourbaki avait dans le nord quelques élémens informes, que le public, en se trompant de moitié, évaluait à 60,000 hommes. Enfin une armée de l’ouest venait d’être formée sous le commandement du général Fiereck, bientôt remplacé par le capitaine Jaurès. Cette armée de l’ouest était encore une pure dénomination qui s’appliquait plutôt à une extension territoriale sur laquelle étaient disséminés des détachemens isolés qu’à une agglomération de troupes organisées. Le camp de Conlie, près du Mans, allait sortir de la boue et des marais, et réunir les contingens bretons sous la direction éphémère de M. de Kératry. Une force plus réelle et plus compacte se formait en silence sur la rive gauche de la Loire. Quelles que fussent les lacunes de toutes ces armées, on ne peut nier qu’une vive impulsion n’eût été donnée. Tout n’était pas encore sorti du chaos ; mais au moins l’on démêlait des élémens sérieux de résistance et même de succès.

Il n’était que temps de faire des préparatifs vigoureux. Tous ces efforts d’organisation eussent dû être tentés dès le commencement de septembre, si des préoccupations politiques n’avaient détourné