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contingent habituel et quotidien d’escarmouches avait continué dans les départemens de la Seine-Inférieure et de l’Eure, principalement auprès de Vernon. Il semble que l’arrivée rapide de Manteuffel ait complètement fasciné les autorités militaires et civiles de Rouen. Après un court et désordonné combat à Buchy, la capitale de la Normandie fut occupée sans résistance. Chacun rejeta la faute sur son voisin. Ce fut un échange de vives récriminations entre le général Briand, commandant la division militaire, M. Estancelin, général de la garde nationale, et le conseil municipal. Ces accusations réciproques contenaient toutes une part d’erreur et d’exagération. La responsabilité doit remonter beaucoup plus haut. Toutes les troupes du nord de la France auraient dû n’avoir qu’un chef et opérer en un seul corps d’armée. C’est à Amiens qu’il fallait défendre Rouen. Nous nous divisions contre un ennemi qui était uni, et qui nous accablait les uns après les autres. Nous avions à lutter dans le nord contre la seule armée de Manteuffel, et nous lui opposions trois ou quatre petits corps échelonnés, sans lien entre eux, qui se faisaient écraser successivement. Ce système devait annuler la plus grande partie de nos forces, être une des causes principales de nos revers. M. Gambetta ne venait-il pas, par une inconcevable erreur, de supprimer tous les commandemens régionaux et de rétablir les chefs de division et de subdivision militaire dans leur isolement et leur indépendance réciproque ?

L’Europe nous croyait écrasés, et la majeure partie de la France professait cette opinion, quand une magnifique retraite, qui comptera parmi les plus belles opérations de cette guerre, vint nous rendre quelque espérance. L’armée de la Loire, battue à Orléans, s’était divisée en deux fractions : l’une, sous la direction de Bourbaki, s’était retirée sur la rive gauche dans le plus grand désordre et plus le profond abattement ; l’autre était restée sur la rive droite, et le commandement en fut confié à Chanzy. Le gros de l’armée de Chanzy se composait des 16e et 17e corps, qui avaient supporté tout le poids de la lutte contre Mecklembourg à Patay. Ils étaient en outre renforcés par une partie du 15e corps, et ils reçurent bientôt des troupes fraîches avec un supplément de matériel. Il s’était formé au camp de Conlie, sous le commandement de M. de Kératry, un assez grand nombre de recrues de Bretagne ; la partie qui était assez instruite pour servir fut fondue, avec les bataillons dispersés de la prétendue armée de l’ouest du général Fiereck, en un seul corps, le 21e, commandé par le capitaine de vaisseau Jaurès. Ce 21e corps marcha sur Vendôme pour rejoindre Chanzy, ce qu’il ne put faire qu’après plusieurs jours. Ce dernier avait pris position non loin d’Orléans, à Meung et à Saint-Laurent-des-Bois, près de la forêt de Marchenoir, et sur les deux routes qui conduisent