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la rive gauche dans le plus grand désordre. Bourbaki, le brillant chef de l’ancienne garde impériale, fut mis à la tête de ces débris et chargé de les réorganiser. Une partie des forces de Frédéric-Charles avait également passé la Loire ; mais aucune bataille, aucun combat important ne fut livré pendant le mois de décembre. Une foule d’escarmouches, quelques rencontres heureuses pour nos armes près de Gien, de Briare, de Bonny et de Neuvy-sur-Loire, témoignèrent aux environs de Noël du retour de vitalité de notre armée. Bourbaki avait réussi à reconstituer trois corps, le 18e le 20e et le 24e. C’était une armée d’environ 120,000 hommes. Bien employées, ces troupes eussent peut-être pu sauver Paris. Pendant que Chanzy attirait vers Le Mans Frédéric-Charles et Mecklembourg, il eût été aisé pour Bourbaki de se porter rapidement par Gien, Montargis, Fontainebleau, sur notre capitale assiégée. Il n’eût rencontré devant lui que des forces minimes et inégales. En tout cas, s’il eût couru le risque d’un échec, il n’eût jamais pu être complètement détruit. Quel est le conseiller funeste qui proposa un autre plan ? Est-ce Bourbaki lui-même qui conçut le projet excentrique de délivrer Belfort, qui pouvait résister pendant longtemps, et qui est à plus de 100 lieues de, Paris ? est-ce le général Trochu, comme quelques indices peuvent le faire croire, qui inventa cette déplorable stratégie ? est-ce M. Gambetta qui imagina cette combinaison ? Cette question est encore obscure. Le plan de Bourbaki était en lui-même insensé ; il fut rendu désastreux par l’exécution. Si l’on voulait couper les communications de l’ennemi, ne pouvait-on pas le faire avec plus de chances de succès par Auxerre, Joigny, Troyes, Châlons, en ayant pour appuyer une retraite la forte place de Langres ? Mais, outre l’imprudence de la conception, ce qui fut complètement fatal, ce fut la lenteur des mouvemens de notre armée. Le 2 janvier, Bourbaki avait son quartier-général à Dijon. Jusque-là, sa marche avait été tenue assez secrète. Il pouvait encore partiellement réussir, s’il eût agi avec rapidité. Une semaine se passa avant que l’on ne rencontrât l’ennemi, le 9 janvier, à Villersexel, au-dessous de Vesoul. Il avait fallu huit jours pour faire 25 lieues.

Dans l’est, comme à Sedan, nous avons dû surtout nos défaites, aux marches rapides de nos ennemis. À Villersexel, le 9 janvier, le plan de Bourbaki était de rejeter le corps prussien de Werder sur Épinal et de se frayer un chemin libre sur Belfort. Bien que nous ayons revendiqué la victoire dans cette journée, il est manifeste que nous avons échoué. Werder put échapper à nos troupes et gagner, avec le 14e corps allemand, les bords de la Lisanie, où il eut le temps de faire des retranchemens à 2 lieues de Belfort. Comment se fait-il que près de huit jours se soient écoulés entre la rencontre de Villersexel et les batailles sur les rives de la Lisanie ? La distance