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entre ces deux points n’est que de 8 lieues. La mauvaise organisation de l’intendance, le délabrement de nos troupes à peine habillées, en sont sans doute les causes. Quoi qu’il en soit, nous arrivâmes trop tard devant les formidables positions de l’ennemi à Héricourt et auprès de Belfort ; elles étaient devenues de vraies forteresses. Après des assauts répétés pendant trois journées, le 15, le 16 et le 17 janvier, 120,000 Français ne parvinrent point à enlever les hauteurs défendues par 40,000 Allemands. Dès lors Bourbaki devait renoncer au succès ; il n’avait qu’à sauvegarder son armée. Il savait que les Allemands dirigeaient sur lui des forces énormes sous le commandement de Manteuffel, enlevé à l’armée prussienne du nord. Nos troupes étaient à 2 lieues de la frontière suisse, c’était une position périlleuse où l’on risquait d’être acculé et cerné ; mais la retraite s’opéra avec une déplorable lenteur. Dix jours après avoir quitté Montbéliard, nos troupes n’avaient encore fait que 15 lieues, et se trouvaient à Roulans-le-Grand, à 4 ou 5 lieues de Besançon. Cependant le 7e corps prussien, sous le commandement de Manteuffel en personne, descendait rapidement sur nous ; coopérant avec les troupes de Werder, il coupait nos communications vers le sud, et s’avançait à marches forcées sur Pontarlier. De sanglans combats eurent lieu sur la route de Salins, ils furent désavantageux pour nous : nous perdîmes 3,000 hommes et 6 canons. Nous étions complètement acculés à la frontière suisse. Pour ajouter aux péripéties de cette lugubre tragédie, l’héroïque et infortuné Bourbaki tentait de se suicider. Par une ironie du sort, le commandement passait à Clinchamp, cet impétueux général échappé de Metz que l’armée du Rhin opposait à Bazaine, et auquel on voulait alors confier le soin de faire une trouée à travers les troupes de Frédéric-Charles, et c’est ce même officier-général qui allait signer la capitulation de 85,000 Français avec le général suisse Herzog. Une bonne fortune rare nous échut pourtant au milieu de tant de malheurs : le tiers de l’armée de Bourbaki, le 24e corps, était parvenu à regagner Lyon, après avoir perdu une partie de son artillerie. Nos troupes arrivèrent en Suisse dans le plus profond dénûment ; le pain et les vêtemens leur manquaient. Cette armée française en lambeaux accrut encore dans ce petit pays l’estime pour notre esprit de sacrifice.

D’autres combats sanglans, heureux pour nous, avaient lieu dans le centre de la France, à Dijon notamment, où pendant trois jours Garibaldi lutta contre des brigades détachées de l’armée de Manteuffel. Une petite armée française, partie de Gien sous le commandement du général Lecomte, et forte, autant qu’on peut l’évaluer, d’une quarantaine de mille hommes, avait fait une diversion utile du côté d’Auxerre et de Joigny ; elle s’était ainsi avancée jusqu’à