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lançant ce trait inoffensif : l’Allemagne s’en repentira, l’Allemagne regrettera d’avoir repoussé nos bons offices ! Après cela, on peut bien parler dans le parlement de Londres de nos déplorables affaires en jugeant du ton le plus sévère « une paix extorquée avec des conditions qui seraient intolérables pour une nation ayant besoin de recouvrer ses forces ; » on peut se donner le luxe de maudire « une pareille paix après tant de sang versé et une si grande misère. » En réalité, l’Angleterre n’a rien fait pour empêcher un tel résultat. Quand on lui a demandé son concours, elle l’a refusé. Quand nous en sommes venus à cette extrémité où nous n’avons plus que le choix entre une guerre sans espoir et cette « paix extorquée » dont on parle, M. Gladstone se dégage le plus aisément du monde en déclarant à la chambre des communes qu’il n’y a plus rien à faire, puisque aucun des belligérans n’a témoigné le désir de voir surgir une intervention. Nous avons seulement la satisfaction d’apprendre qu’au dernier moment la reine Victoria aurait écrit au roi de Prusse pour lui demander de mettre de la modération dans les conditions qu’il imposait à la France. Le vœu de la reine Victoria est exaucé, on le sait trop bien maintenant, et le cabinet de Londres ne peut que se féliciter de ses succès ! C’est là qu’en est venue la politique de l’Angleterre ; c’est tout le concours qu’elle a pu nous donner.

La Russie de son côté n’est pas moins prodigue d’intentions tout aussi parfaites et tout aussi efficaces. Au premier instant, le cabinet de Saint-Pétersbourg, en se joignant à la ligue des neutres, a l’air de vouloir se remuer. Il témoigne à M. Thiers les plus libérales sympathies. Le tsar admet à peine qu’on puisse toucher à l’intégrité de la France ; il déclare qu’il ne pourrait approuver qu’une paix faite à des conditions équitables. C’était probablement une sorte de satisfaction donnée à une certaine partie de la société russe visiblement favorable à la France, et aussi une manière de laisser percer l’inquiétude que cause en Russie la résurrection d’un empire germanique. Puis tout d’un coup le cabinet de Saint-Pétersbourg s’arrête. À un moment donné, l’Angleterre « se hasarde » à insinuer qu’une démarche serait peut-être possible, qu’il y aurait peut-être lieu à combiner les efforts des neutres, et le prince Gortchakof se hâte de répondre qu’un tel accord serait « impraticable. » Que s’est-il passé ? Un fait bien simple. La Russie songeait dès lors à tirer parti des circonstances pour lancer dans le désarroi de l’Europe cette dénonciation du traité de 1856, qui n’a pas laissé d’effaroucher la diplomatie anglaise. Si la Russie n’est pas entrée dans la ligue des neutres pour la faire avorter et pour laisser ainsi toute liberté à la Prusse, il faut convenir du moins que ses sympathies pour la France ont été très platoniques. Elles se sont manifestées tout juste dans la mesure où elles pouvaient ressembler à une générosité peu compromettante. Dès le premier jour, la Russie ne voulait sans doute rien faire, et elle n’a rien fait. L’Autriche à son tour n’a pas un rôle plus actif dans