Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lière qui lâche pied. — Non, vous dis-je, c’est elle qui tient ! » Le plus clair, c’est qu’une armée sans armes, sans pain, sans chaussures, sans vêtemens et sans abri, ne peut pas résister à une armée pourvue de tout et bien commandée.

On agite beaucoup la question suivante, et on nous rapporte fidèlement, de auditu, l’opinion de M. Gambetta. — L’armée régulière est détruite, démoralisée, perdue ; elle ne nous sauvera pas. C’est de l’élément civil que nous viendra la victoire, c’est le citoyen improvisé soldat qu’il faut appeler et encourager.

La question est fort douteuse, et, si d’avance elle est résolue, elle devient inquiétante au dernier degré. On peut improviser des soldats dans une localité menacée, et les mobiliser jusqu’à un certain point ; mais leur faire jouer le rôle de la troupe exercée au métier et endurcie à la fatigue, c’est un rêve, l’expérience le prouve déjà. Les malades encombrent les ambulances. On parle d’organiser une Vendée dans toute la France. Organise-t-on le désordre ? Ces résultats fructueux que suscitent parfois des combinaisons illogiques s’improvisent et ne se décrètent pas. M. Gambetta a pu jeter les yeux sur la carte du Bocage et sur la page historique dont il a été le théâtre ; mais recommencer en grand ces choses et les opposer à la tactique prussienne, c’est un véritable enfantillage. On assure que M. Gambetta est un habile organisateur ; qu’il réorganise donc l’armée au lieu de la dédaigner comme un instrument hors de service, alors que tout lui manque ou la trahit ! Si l’on veut introduire des catégories, scinder l’élément civil et l’élément militaire, froisser les amours-propres, réveiller les passions politiques, je ne dis pas à la veille, mais au beau milieu des combats, j’ai bien peur que nous ne soyons perdus sans retour.

Quelqu’un, qui est renseigné, nous avoue que nos dictateurs de Tours sont infatués d’un optimisme effrayant. Je ne veux pas croire encore qu’ils soient insensés… Quelquefois une grande obstination fait des miracles. Qui se refuse à espérer quand on sent en soi la volonté du sacrifice ? Mais la volonté nous donnera-t-elle des canons ? On avoue que nous en avons qui tirent un coup pendant que ceux de l’ennemi en tirent dix. — En fait-on au moins ? — On dit qu’on en fait beaucoup. Nous savons, hélas ! qu’on en fait fort peu. En fait-on de pareils à ceux des Prussiens ? — On ne peut pas en faire. — Alors nous serons toujours battus ? — Non ! nous avons l’élément civil, une arme morale que les étrangers n’ont pas. — Ils ont bien mieux, ils ont un seul élément, leur arme est à deux tranchans, militaire et civile en même temps. — On le sait ; mais le moral de la France !

Oh ! Soit ! Croyons encore à sa virilité, à sa spontanéité, à ses grandes inspirations de solidarité ; mais, si nous ne les voyons pas