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sortis du même berceau, avaient eu aussi à l’origine les mêmes institutions, les mêmes croyances, le même état social. Les vestiges de cette antiquité lointaine n’ont pas tellement disparu qu’on ne les retrouve dans quelques phrases de Tacite ; mais ils sont plus nettement marqués dans les codes germains, et surtout dans les traditions des Sagas. On y peut voir que la vieille société germanique, aussi bien que les plus anciennes populations de l’Italie et de la Grèce, a été soumise à une théocratie, qu’elle a obéi à une noblesse sacerdotale assez analogue au vieux patriciat romain, et que, dans les plaines de la Germanie comme dans les champs du Latium, c’est une religion grossière qui a consacré le premier droit de propriété sur le sol, et qui a imposé aux hommes les premières lois. Partis du même point que les Latins et les Grecs, Ces Germains suivirent aussi le même chemin, entrèrent dans la même série de révolutions. Ils s’affranchirent de la théocratie, et se constituèrent en tribus qui ne furent pas sans analogie avec les cités primitives. Seulement leur marche et leurs progrès, en matière d’institutions politiques comme en matière de civilisation, furent très lents. Tandis que les Grecs et les Latins avaient déjà traversé toutes les phases du régime de la cité, les institutions libres, l’aristocratie, la démocratie, enfin le despotisme, ces Germains, grâce à la lenteur de leurs évolutions, n’en étaient encore qu’au régime de la tribu aristocratique. Tacite les jugea meilleurs que ses compatriotes, parce qu’ils étaient moins avancés ; leurs institutions lui parurent sans défauts, parce qu’elles avaient d’autres défauts que ceux qui le frappaient dans l’empire romain.

Il ne faut pas nous méprendre sur la nature de la vieille liberté germaine. L’esprit de discipline fut toujours plus fort chez cette population que l’esprit de liberté. Il suffit d’observer avec quelque attention les mœurs et les usages de ces anciens temps pour s’apercevoir que l’obéissance et la subordination tenaient déjà dans la société germanique une fort grande place. — On y distinguait trois classes d’hommes, les nobles, les libres, les serfs. Ces hommes étaient hiérarchiquement superposés les uns aux autres. Le serf était lié à l’homme libre par son infériorité native ; l’homme libre était presque toujours lié au noble par le contrat de patronage et ce contrat, tout volontaire qu’il paraissait être, ne laissait pas d’être étrangement rigoureux dans la pratique. La sujétion, de quelque nature qu’elle fût, celle des enfans à l’égard du père, celle du serf à l’égard de l’homme libre, celle du compagnon à l’égard du chef, s’exprimait dans le langage par un même mot, munt ou mundium, et ce mot marquait avec une énergie singulière la dépendance d’un inférieur vis-à-vis d’un maître. Toutes les personnes