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qui se trouvaient, à divers titres, sous le mundium d’un même homme formaient un seul groupe, une seule famille, dont cet homme était le père, le chef, le souverain omnipotent. Telle était la constitution de la famille, et la propriété foncière était constituée sur ce modèle. On a mis en doute que les Germains aient connu le droit de propriété. Étrange erreur ! leurs traditions religieuses attestent que ce droit était établi chez eux, et de la façon la plus solide, dès les époques les plus reculées. Ce qu’ils ne connaissaient pas, c’était la petite propriété individuelle. Chaque groupe ou famille (il faut entendre la grande famille telle que le mundium la constituait) vivait sur un grand domaine isolé et indivis. Le chef de famille en était seul propriétaire ; pour la culture et pour la jouissance, il en distribuait les parts à ses subordonnés, c’est-à-dire à ses hommes libres ou à ses serfs, et, pour mieux marquer que, restant, lui seul, propriétaire, il ne concédait que la jouissance, il était d’usage que ces lots changeassent de mains chaque année. César, qui n’a pu observer que très superficiellement les Germains, a pourtant été frappé de cet usage, et, sans en chercher le sens et la raison, il l’a noté en passant dans ses Commentaires.

Ainsi l’état social des Germains, grâce à la manière dont la famille et la propriété étaient constituées chez eux, était tout à fait aristocratique. Si maintenant nous passons à leur état politique, nous le trouverons fort libéral. La liberté, absente de la famille, régnait dans la tribu. La raison de cela se voit tout de suite : les inférieurs, les serfs, les hommes libres soumis au patronage, n’étaient pas regardés comme des membres de l’état ; ils n’appartenaient qu’à la famille, et ils n’avaient pas d’existence politique. Il résultait forcément de là que l’état ou la tribu n’était que l’association des chefs de famille, c’est-à-dire des grands et des puissans. Dans une telle association, il ne se pouvait pas que chaque membre ne fût très libre, car chacun était trop fort par lui-même pour qu’on pût le soumettre aisément à une autorité despotique. Si ces hommes avaient un roi à leur tête, il fallait bien que ce roi, qui ne devait pas être beaucoup plus fort que chacun d’eux, consultât sur toutes choses leur volonté. Imagine-t-on qu’il osât entreprendre une guerre ou faire une loi malgré eux ? Les aristocrates tiennent fort à leur liberté, et ont le moyen de la garder. On a remarqué que ces Germains n’étaient ni asservis au souverain, comme les sujets des monarchies pures, ni asservis à l’état, comme l’étaient les citoyens des républiques démocratiques de la Grèce, et l’on a admiré l’importance et la dignité que l’individu humain possédait dans cette société germanique. Tout cela est juste et vrai, à la condition toutefois que nous l’entendions, non des serfs ni de tous les hommes