Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une escalade au palais Bourbon ou à l’Hôtel de Ville pour constituer un gouvernement, il n’y avait plus de quiétude pour la France, que le pays allait être en proie à toutes les secousses, à toutes les violences, à tous les hasards. L’on ne saurait croire quelles furent la vivacité et la ténacité de ces impressions, car elles subsistent encore aujourd’hui, même après le long siège de Paris. Depuis vingt ans, les provinciaux s’étaient toujours promis de ne jamais autoriser un renouvellement de 1848. Ils le disaient bien haut, ils prétendaient que l’on comptât avec eux, et qu’on ne leur imposât plus des faits accomplis. La proclamation de la république à l’Hôtel de Ville sans leur consentement fut donc pour eux un désappointement. Ils en gardèrent et ils en gardent encore rancune. On disait alors que la capitale ne devait plus être une ville aussi mobile, aussi impressionnable que Paris, qu’il n’y avait sur le quai d’Orsay aucune sécurité pour la chambre, que la garde nationale parisienne n’offrait à la légalité et à l’ordre public aucune garantie suffisante. On le dit encore. Ni les cinq mois de siège héroïquement supportés par la population parisienne, ni sa noble attitude pendant l’occupation prussienne, ne sont parvenus à effacer le souvenir du coup de main du 4 septembre et de la tentative du 31 octobre. La province admire et craint Paris.

D’autres circonstances agirent dans un sens opposé. Ce fut d’abord l’entrée du général Trochu dans le gouvernement inauguré le 4 septembre. À plusieurs points de vue, le gouverneur de Paris était sympathique à la province. La personne même, les antécédens, les relations du général Trochu, paraissaient aussi de sérieuses garanties. Le titre heureux que prit le gouvernement du 4 septembre ne fut pas non plus sans exercer une favorable impression. On aimait à croire que la défense nationale serait non-seulement l’étiquette, mais l’objectif unique de ce pouvoir de transition ; on se disait en même temps que ses jours étaient comptés, et qu’une organisation plus régulière, plus définitive, ne tarderait pas à lui succéder. Ce qui contribua plus encore que la présence du général Trochu à dissiper les premières préventions et à rassurer les provinces, ce fut la mission diplomatique de M. Thiers. Le concours indirect de cet homme d’état parut un gage de la modération de l’administration nouvelle ; on le regarda comme le parrain ou la caution du gouvernement de la défense nationale. On vit avec plaisir que ce gouvernement improvisé ne se montrait pas complètement exclusif ; on en augura bien pour l’avenir. L’opinion publique se faisait d’ailleurs les illusions les plus grandes sur l’efficacité du voyage de M. Thiers. Tour à tour on crut que la Russie, l’Autriche, l’Italie, séduites par la parole persuasive de notre célèbre orateur, interviendraient pour