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dont le public ignora toujours la composition. Quoi qu’il en soit, la négociation de l’emprunt Morgan donna lieu aux bruits les plus graves, et que nous croyons, quant à nous, calomnieux. Il devint impossible pour le gouvernement de recourir de nouveau au crédit, tandis que les besoins d’argent ne faisaient que croître dans des proportions inattendues. C’est une croyance générale que d’énormes avances furent faites par la Banque de France, dont le sous-gouverneur, remplissant les fonctions de gouverneur, donna sa démission. La Banque n’avait-elle pas obtenu, par un décret de Tours, de porter de 2 milliards 400 millions à 3 milliards 400 millions la limite de ses émissions de billets ayant cours forcé ? L’on sait que, dans des situations analogues et en retour de semblables avantages, les banques d’Italie et d’Autriche avaient fait des prêts considérables à leurs gouvernemens respectifs. Il en fut sans doute de même de la Banque de France. On négociait en outre des bons du trésor. S’il faut en croire M. Germain, député de l’Ain, dont chacun connaît la compétence financière, l’escompte pour ces bons descendit à 15 ou 20 pour 100.

Le pays était alors dans une des situations les plus critiques qu’il ait traversées pendant cette guerre. Metz venait de tomber, M. Gambetta fit une proclamation foudroyante contre les traîtres de l’empire. Ce jugement sur le maréchal Bazaine, formulé avec une violence imprudente, donna lieu dans tout le midi de la France aux plus tristes excès. Le cri de trahison fut le mot d’ordre qui souleva les populations exaspérées, et qui les conduisit à la rébellion et au crime. A Lyon, la populace se porte aux bureaux d’un journal qui avait annoncé le premier la capitulation de Metz ; elle veut briser les presses et jeter le rédacteur dans le Rhône. À Saint-Etienne, on arbore le drapeau rouge. À Toulouse, le peuple arrête le général Courtois d’Urbal et l’entraîne au Capitole en le menaçant de le tuer. Pour le sauver, les modérés le conduisent à la préfecture ; on l’y constitue prisonnier, et on le contraint de donner sa démission. Des manifestations violentes se produisent dans toute la ville aux cris de mort aux royalistes ! À Nîmes, la préfecture est envahie par la foule, qui demande qu’on épure l’administration et l’armée. À Grenoble, le général Barral, accusé de trahison comme Bazaine, est saisi par les exaltés, qui demandent sa tête, et jeté en prison. Le général Cambriels, à Lannemezan, est assailli par les femmes à coups de pierres, sous prétexte qu’il est un traître, un complice de l’homme de Sedan et de l’homme de Metz. À Perpignan, le colonel commandant de place est victime d’une agression populaire et reçoit quatre coups de sabre. Un homme respectable, M. de Bordas, est littéralement lapidé devant sa propre maison par la foule ; son corps est mis en lambeaux. Le général de Noue est