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mené ainsi, quoi qu’on fasse, aux monades actives dont les infinies variétés, les infinies relations et les infinis mélanges produisent tout. Les savans auteurs auxquels nous faisons allusion essaieront vainement de réduire à des fonctions déterminées de l’espace et du temps ce qui est essentiellement opposé à l’espace et au temps, la force, et de faire que nous n’ayons point de la résistance dynamique des élémens du monde une conscience aussi nette que celle de notre effort individuel pour l’équilibrer.

Il est facile d’indiquer la cause de ces abus spécieux des considérations géométriques et mécaniques dans la philosophie de la nature. Cette cause est l’ignorance des faits biologiques dans lesquels se révèlent d’une manière spéciale la spontanéité profonde et la réalité des forces consubstantielles aux corps. La géométrie et la mécanique, dans leurs spéculations, séparent les points matériels d’avec les forces, tandis que la biologie apprend à les conjoindre dans une indestructible et nécessaire unité. La science des mouvemens et de leurs figures ne nous montre que les dehors de l’universelle énergie. La science de la vie au contraire nous en dévoile le fonds agité et le beau dessein. Tel est le précieux, l’immense service qu’elle rend au savoir et à la dialectique. Descartes et ceux qui de nos jours essaient de restaurer son système en déduisant la physique de la mécanique et la physiologie de la physique, en expliquant le supérieur par l’inférieur, comme dit Auguste Comte, en proscrivant toute tentative de concevoir les principes premiers par les principes ultimes, tous ces philosophes, quel que soit d’ailleurs leur mérite, ont méconnu les leçons que fournit l’être vivant sous le double rapport physiologique et psychologique. Les témoignages de l’âme s’identifiant avec la vie leur eussent fait voir dans tout l’univers les images de l’âme et de la vie au lieu d’un aveugle et fallacieux géométrisme. Ils eussent compris que les chiffres et les figures n’expliquent pas tout, que le calcul n’est pas l’unique méthode. Ce qui explique tout, c’est l’âme, parce qu’elle seule saisit tout, ou du moins trouve en elle seule, au foyer de l’abstraction, comme de secrètes affinités avec tout. Aussi bien la gloire positive et durable de Descartes est assez grande pour qu’on ose, sans crainte d’en affaiblir l’éclat mérité, prédire l’impuissance des efforts entrepris de nos jours pour introduire dans la philosophie naturelle de faux principes empruntés à sa doctrine. Le crédit appartient de plus en plus aux idées de Leibniz, dont toutes les sciences sont aujourd’hui imprégnées. Et toute la doctrine de ce grand penseur est dans l’intime association, inconnue, ce semble, avant lui, d’une géométrie sublime et d’un vif sentiment de l’éternelle harmonie des choses.

Fernand Papillon.