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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mars 1871.

Le dernier et triste mot de la plus affreuse des aventures est donc prononcé définitivement. Il a été dit à Versailles, il a été dit à Bordeaux par nos députés réunis pour le suprême sacrifice, et certes jamais la destinée d’un pays ne fut agitée au milieu de telles émotions, jamais scène parlementaire ne fut plus dramatique, plus entrecoupée de péripéties, mieux faite pour rester dans la mémoire d’un peuple comme le souvenir d’un grand deuil et comme un éternel enseignement. C’en est donc fait, une assemblée française a été obligée de voter la mutilation de la France, de ratifier cette paix que par une cruelle ironie nous sommes forcés d’appeler une délivrance, puisque ces préliminaires qui sont l’expression de nos désastres ont du moins pour résultat d’arrêter l’invasion étrangère prête à déborder de toutes parts, de nous rendre notre liberté livrée à la soldatesque allemande, d’épargner à un pays déjà dévasté des malheurs plus irréparables encore, une ruine plus complète. Cent sept députés ont refusé de souscrire aux conditions du vainqueur, quelques-uns ont protesté tout haut par des discours retentissans, pas un n’a dit comment on aurait pu se dérober à l’implacable nécessité, quel moyen il y avait de continuer la guerre. Protester, protester, qui donc n’a protesté ? Qui donc ne s’est dit au plus profond de son âme que ces pactes d’iniquités imposés par la force étaient dénués de toute sanction morale, qu’il n’était pas permis d’arracher les membres palpitans d’une nation et de s’en faire un butin de victoire ? Mais il ne suffisait pas de protester contre la paix, de demander à grands cris la continuation de la guerre ; il fallait pouvoir la continuer, cette guerre, et aucun de ceux qui proposaient à la France de reprendre ce gigantesque combat, aucun n’a pu répondre à cette parole désespérée que M. Thiers a jetée plus d’une fois au courant d’une discussion douloureuse : « le moyen, le moyen, indiquez-nous le moyen ! » C’est qu’en effet tout était là.