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séduit Maffei. Au milieu de ce monde aimable et distingué, l’épiraphie dut être souvent en souffrance ; elle n’est guère de mise dans un salon, et Maffei la négligea sans doute pour toutes ces questions littéraires que Rémond de Saint-Mard discutait avec sa spirituelle amie. Ces agréables divertissemens le retinrent trois ans à Paris. Il y resta trop longtemps pour sa réputation. A son arrivée, Paris l’avait accueilli avec une admiration curieuse ; il eut le tort de trop contenter cette curiosité : un homme habile s’éloigne avant qu’elle ne soit entièrement satisfaite. Le lointain le grandissait, beaucoup de personnes trouvèrent qu’il perdait à se laisser voir de trop près. Comme il n’avait jamais vécu que dans une ville de second ordre, il apporta dans les salons parisiens quelques défauts de province. On l’accusait d’être terriblement vaniteux. Ce n’est pas qu’on le fût beaucoup moins à Paris, mais on avait l’art de ne point le paraître ; l’orgueil de marquis, qui s’étalait avec une complaisance naïve, gênait celui des autres. Il parlait trop et trop bien de lui. Habitué aux luttes de l’érudition, où l’on se dispute encore plus qu’on ne discute, il avait le ton tranchant, il dissertait quand il fallait causer, il ne supportait pas d’être contredit. Ces défauts donnaient prise sur lui à tous ceux qui ne l’aimaient pas, et le nombre en était assez grand. Le salon de Mme de Bérenger était opposé à celui de Mme  de Verteillac : on maltraitait chez l’une ce qu’on admirait chez l’autre. Il suffisait que Mme  de Verteillac eût fait bon accueil à Maffei pour qu’on fût disposé à lui trouver mille défauts chez Mme de Bérenger. Les journalistes, qui essayaient d’établir leur influence naissante sur toutes ces querelles intestines, se mirent de la partie. L’abbé Desfontaines, ennemi de la littérature italienne en général et de Maffei en particulier, prit à tâche de démontrer que la Mérope était un assez médiocre ouvrage. Riccoboni, qui voulait flatter les salons qui l’avaient bien reçu, et d’acteur devenir auteur, révéla que le marquis s’était permis quelquefois de mal parler du théâtre français. Ce fut un scandale horrible quand on apprit qu’il y avait par le monde un homme qui prétendait découvrir des défauts dans Racine, qui avait l’impudence de trouver que les tragédies d’Euripide valaient mieux que celles de Voltaire, et que la canaille d’Athènes avait meilleur goût que les gens d’esprit de Paris. Ce qui ajouta au déchaînement général, c’est que le malencontreux Maffei voulut se défendre, et qu’il choisit mal son défenseur : il alla s’adresser au chevalier de Mouhy, auteur de romans ennuyeux, qui publia, sous le titre du Mérite vengé, un mauvais livre rempli de ces lourdes apologies qui font plus de mal que les plus cruelles attaques. Pour comble de malheur, Maffei, qui, selon Lebeau, avait un esprit de feu et s’enflammait successivement pour toutes les études