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recueils de cette époque et appartenant à différens peuples. L’idée qui me paraît la mieux fondée est que l’artel est une importation d’Asie. Personne ne connaît l’origine de ce mot ; il semble devoir être tartare, car il ne paraît qu’avec les règnes d’Ivan III et d’Ivan IV. L’artel a dû s’établir en Russie en même temps que la commune et que le servage. » Le premier artel dont il soit fait mention est une bande de voleurs conduite par un chef élu, auquel elle donnait le nom d’ataman. Le butin était divisé en parts égales entre tous les membres de la bande. « Il est à présumer, continue M. Dixon, que ces artels de brigands ont dû être puissans et prospères, puisque le principe de leur association a passé presque intact dans la vie ordinaire, et a formé la base des corporations d’artisans. Ceux-ci conservèrent le mot artel, et traduisirent ataman par ancien. Pour tous les détails secondaires, ils copièrent à la lettre les règlemens de leur modèle. Les articles du reste en sont fort simples et se réduisent à ceci : les membres de l’association sont solidaires les uns des autres, — ils sont gouvernés par un chef élu par voie de suffrage universel, — chaque membre doit occuper le poste qui lui est décerné par l’artel, — aucun membre ne peut refuser de faire ce qui lui a été commandé, — il est absolument interdit de boire, de jurer, de se quereller ou de jouer, — chacun doit se comporter envers son camarade comme envers un frère, — aucun présent ne doit être accepté, à moins qu’il ne soit apporté à la caisse de la société, — un membre ne peut se faire remplacer par un autre, si ce n’est du consentement de tous. Plus tard, ces lois si simples furent complétées par des mesures prises en vue de rendre aux héritiers d’un membre la valeur de ses droits dans le fonds commun. Tous les artels prennent pour devise « honnêteté et vérité. »

Le droit d’entrée est toujours considérable. La moyenne en est de 1,000 roubles (3,750 fr.) ; toute liberté est laissée pour le versement de cette somme, qui peut être effectué en divers paiemens. À partir du jour de son admission, le membre d’un artel n’est plus libre de choisir son occupation ; sa place lui est indiquée, et c’est l’ancien qui touche ses gages. Les maisons riches demandent leurs domestiques à l’artel ; le négociant ou le banquier à la recherche d’un employé fait simplement venir chez lui l’ancien d’un artel, et prend sur sa liste le premier nom venu. L’association étant responsable des actes de chacun de ses membres, le banquier n’hésitera pas un instant à confier sa caisse à cet inconnu. Si par hasard cet inconnu est un fripon qui disparaît un beau jour avec la caisse, cas extrêmement rare, le banquier appellera une seconde fois l’ancien, qui lui remboursera immédiatement l’argent volé, et, cette restitution faite, lancera tous les membres de l’association à la poursuite du coupable. Ceux-ci, responsables de son crime, n’ont garde