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ardus de filiation, demeure ici en échec. Toujours est-il que le comte Robert, marié à une fille de Louis le Débonnaire, avait gagné avec son épée d’être surnommé « le brave, » le fort par excellence. Charles le Chauve, en récompense de ses services, lui donna en 861 un vaste fief qui s’étendait de la Seine à la Loire. Le Carlovingien ne se doutait pas que ce « duché de France, » comme on l’appelait, deviendrait le noyau de la monarchie la plus nationale de l’Europe moderne. La vie de Robert n’est d’ailleurs qu’une succession de brillans exploits contre les Normands, les Bretons et les autres ennemis de Charles le Chauve. Ce « Macchabée des Francs » périt glorieusement en 866 au milieu d’un dernier triomphe sur les pirates du redoutable roi de la mer Hasting. Sa mort fut un deuil populaire, et l’on montre encore aujourd’hui, à tort ou à raison, aux environs de Châteauneuf, dans le village de Brissarthe, l’endroit où fut tué ce héros, souche illustre de trente-huit rois.

L’idée fixe de Charles le Chauve était de rétablir à son profit l’unité monarchique romaine. C’est cette idée qui devait commencer à perdre sa dynastie ; pour vouloir trop embrasser, elle s’ôta tout moyen d’étreindre. Les premières annexions, comme on dirait de nos jours, avaient été celles des royaumes de Provence, d’Italie et de la moitié de la Lorraine, à la mort de Lothaire et de ses trois fils. Restait la Germanie, que Louis, en expirant, venait de laisser à ses enfans. Charles le Chauve crut l’occasion bonne pour ressaisir toute la rive gauche du Rhin, notre frontière naturelle ; mais la tentative échoua, et le nouvel empereur, battu par les fils du Germanique, ne rentra dans ses états que pour y signer, au plaid général de Kiersy-sur-Oise (877), cette charte célèbre qui, en reconnaissant l’hérédité des offices, stipulait implicitement au profit du régime féodal l’abdication plus ou moins prochaine du césarisme carlovingien. À partir de cette double déconvenue, à la fois politique et militaire, la société féodale et la dynastie austrasienne restèrent séparées, comme le dit l’historien des Comtes de Paris, « par un abîme. »

Franchissons deux générations. L’éternelle question de la rive gauche du Rhin accroît encore sous Louis III et Carloman, petits-fils de Charles le Chauve, l’irrémédiable impopularité des descendans de Charlemagne. Non-seulement ceux-ci perdent la Provence, qui s’érige en royaume indépendant ; mais ils sont en outre obligés de céder la Lorraine : grave échec pour cette idée déjà toute française de déchirer définitivement le désastreux traité de Verdun. Les « féodaux » néanmoins, qui n’ont pas encore de visées communes, se voient eux-mêmes forcés de composer avec les embarras de leur situation. Faute d’un chef aux côtés duquel ils puissent se grouper