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derniers Mérovingiens, il n’avait pas leur irrémédiable indolence. Il était doué au contraire d’une activité en quelque sorte affolée ; il caressait et ébauchait cent projets incohérens qui de la part d’un Carlovingien n’étaient plus que vaines chimères et bouffées d’orgueil impuissant. Il voulait conquérir toute la Lorraine, et commençait par renoncer à Verdun, la pénible conquête de son père ; il voulait, comme son ancêtre Charles Martel, exterminer les Sarrasins, et n’avait ni troupes, ni argent ; il voulait surtout, ce qui paraissait plus pratique, châtier l’archevêque Adalbéron, qu’il appelait « l’homme le plus scélérat de tous ceux que la terre supporte, qui a favorisé en toutes choses Othon, l’ennemi des Français. » Hugues, auprès de qui il exhalait ses ressentimens, feignait de se prêter à ces accès d’ambition brouillonne, sans cesser de conduire à son gré les événemens. Pour entamer la réalisation de ses plans multiples, Lothaire marcha en effet sur Reims ; mais le siège de la ville épiscopale n’eut pas lieu. Hugues, l’allié intime d’Adalbéron, transporta le démêlé sur un autre terrain, et obtint que le prélat serait admis à s’expliquer devant une assemblée solennelle des grands à Senlis. Déjà le haut tribunal d’arbitrage était réuni, quand Louis V mourut presque subitement dans une affreuse agonie. Était-ce des suites d’une chute de cheval qu’il avait faite ou par l’effet d’un crime, potu maleficii, comme l’écrit l’historien Adhémar le Chabannais, et comme le bruit en courut à la honte de sa femme, la reine Blanche ? Les funérailles qu’on lui fit montrèrent bien dans quel profond discrédit s’abîmait sa famille. Le deuil de son père Lothaire avait été mené à Reims avec une pompe imposante ; son fils Louis V n’obtint pas même cet honneur posthume : au lieu de le transporter selon son vœu dans les caveaux de Saint-Rémi, on se hâta de l’enterrer sans nul apparat à Senlis.

Le plaid des vassaux, composé de la plupart des seigneurs de la France du nord, n’en tînt pas moins ses assises ; mais sa tâche se trouvait singulièrement agrandie. Au lieu d’avoir à statuer sur l’accusation portée contre Adalbéron, il avait à se prononcer sur les plus hauts et les plus urgens intérêts du pays. Louis V n’avait pas laissé d’héritier direct ; le dernier représentant de sa famille était son oncle Charles, duc de la Basse-Lorraine, prince « épais et obèse, » méprisé de tous, inepte, infatuatus, comme disaient de lui ses contemporains, et d’ailleurs depuis dix années inféodé à l’Allemagne à coup sûr, l’heure de la chute fatale était arrivée pour la race des Carlovingiens. Hugues Capet le comprit, et, ramassant dans sa main toutes les forces multiples qu’un siècle de patience et d’habileté lui avait transmises, il résolut de couronner enfin par un triomphe définitif l’œuvre continue de ses devanciers.