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mière. Sa tendresse pour Henri devint subitement expansive et bruyante, et elle ne pensa plus qu’à échanger le nom de Genouillac contre celui de Varèze. Ce fut alors qu’elle se retira dans la petite maison d’Auteuil, où elle employa toutes les ressources de son art et de son expérience à jouer à son profit les scènes variées d’une comédie intime. René en devinait les ruses et ne se sentait pas l’énergie de s’y soustraire.

On sait par quels argumens M. de Porny eut raison de la fantaisie de Mlle de Genouillac. L’appât d’une rente qu’on s’engageait à lui servir, si elle disparaissait, et aussi longtemps qu’elle resterait absente, acheva de la déterminer. Un matin, M. de Porny put annoncer à Gilberte que l’aventurière avait fidèlement tenu parole.

— Et vous êtes seul ? s’écria-t-elle.

La porte s’ouvrit et René entra tenant le petit Henri par la main.

— Vous m’avez racheté de l’esclavage, dit-il, faites de moi ce que vous voudrez.

Sans répondre, Gilberte attira l’enfant auprès d’elle, l’assit sur ses genoux et l’embrassa.

Un an après cette scène, M. de Porny, qu’une affaire de famille avait éloigné de La Marnière un assez long temps, y retourna et fut reçu par Gilberte avec un élan qui lui prouva que rien n’était changé pour lui dans cette âme limpide. Le faisant asseoir à côté d’elle sur un banc rustique d’où la vue s’étendait sur un doux paysage dont son hôte connaissait tous les accidens : — Vous nous restez, lui dit-elle. — M. de Porny eut un mouvement d’épaules familier qui semblait dire : À quoi bon me demander cela ? Puis aussitôt, — vous l’avez donc épousé ? reprit-il.

— Oui, ne fallait-il pas donner un dernier chapitre au roman de mes singulières amours ?

— Et comment cela s’est-il fait ?

— Le plus naturellement du monde. J’avais installé M. de Varèze et son fils à La Gerboise. Ils venaient à La Marnière tous les jours, où j’allais les voir. Le petit Henri est charmant ; c’est une nature tendre et caressante. Dès qu’il m’aperçoit, il court à moi et se jette dans mes bras. Ma mère en raffole. Je devrais haïr cette preuve vivante de mon abandon, et je l’aime. Le père s’est bien vite appliqué à des occupations régulières qui remplissent ses journées, et ne sont pas sans utilité. Il y trouve une grande sérénité d’esprit ; mais il lui est resté de son passé une sorte de fatigue morale qui se traduit par de longs silences et une timidité sauvage qu’un rien effarouche. À la moindre difficulté, il m’appelle. Tout visage inconnu l’inquiète. Un soir qu’Henri s’était endormi sur mes genoux, j’ai pris René par le bras. — J’ai sauvé votre nom d’une tache qui l’eût