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pas à l’honneur des populations les plus ignorantes. L’état d’effervescence où une guerre follement entreprise et non moins follement poursuivie a jeté la France a multiplié les commotions populaires, et les a portées sur plusieurs points aux derniers excès ; d’abominables assassinats ont été commis : le premier en date et le plus horrible de tous n’est-il pas celui de ce propriétaire du Périgord brûlé vif, après de longues et cruelles tortures, par une émeute de paysans qui l’accusaient d’avoir comploté les revers des armées impériales ?


II.


Si l’on veut apprécier avec équité l’esprit politique à Paris et en province, c’est non pas l’histoire des émeutes qu’il faut interroger, mais celle des votes et en général de tous les actes publics par lesquels les opinions ont pu se manifester pacifiquement et librement. Or la série de ces actes, à partir de 1789, ne laisse voir un désaccord sérieux et persistant entre la tête et le corps de la nation que depuis moins de vingt ans. Aux élections pour les états-généraux, Paris, par ses cahiers et par le choix de ses députés, ne devance en aucun point les aspirations de la province ; il semble se laisser distancer par la province aux élections pour l’assemblée législative : presque tous ses députés appartiennent à la droite constitutionnelle et modérée. Il prend sa revanche dans ses choix pour la convention : les chefs les plus célèbres et les plus violens de la montagne, Danton, Robespierre, Marat lui-même, sont parmi ses élus ; mais il ne faut pas oublier que la lutte n’était pas encore engagée entre la montagne et la gironde, et que les futurs champions des deux partis étaient confondus dans une même popularité. Il convient aussi de rappeler que trois des conventionnels parisiens[1] refusèrent de voter la mort du roi. Dans les derniers jours de la convention, quand il s’agit de nommer les deux conseils destinés à former le nouveau corps législatif, Paris s’associe avec éclat au mouvement de réaction qui se produit dans toute la France. Ses protestations contre le maintien partiel de la dictature révolutionnaire prennent même la forme d’une insurrection d’autant plus remarquable qu’elle est due à l’initiative de la partie la plus riche et la plus éclairée de la population, et qu’elle ne rencontre aucune opposition dans les masses populaires. Le renouvellement des conseils en 1797 donne lieu, à Paris comme dans la plupart des départemens, à ces choix modérés et suspects de royalisme qui servirent de prétexte au coup d’état de fructidor ; après le 18 brumaire Paris n’est pas moins prompt que la province à ruere in servitium :

  1. Dussaulx, Manuel, Thomas.