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gés par nos folles terreurs. Nous confondons de généreux efforts inspirés par un zèle sincère pour le salut ou pour le bonheur de tous avec de frauduleuses manœuvres ou des prétentions criminelles. Tout n’est pas cependant chimérique dans les craintes que causent l’un et l’autre. Ils ont cela de commun qu’ils ont en vue non pas seulement des adversaires à comprimer ou à vaincre, mais des biens à conquérir. Le cléricalisme n’aspire qu’aux biens spirituels, il veut gagner les âmes ; mais, pour s’en assurer la possession, il mêle parfois les intérêts du ciel et de la terre. Le socialisme ne poursuit que les biens temporels. S’il garde les formules révolutionnaires pour lesquelles tant de sang a été versé à la fin du dernier siècle, il en a singulièrement élargi le sens. La liberté lui paraît un leurre tant qu’elle ne donne pas des profits palpables ; à l’égalité des droits, il ajoute comme corollaire le nivellement des fortunes, et au lien moral de la fraternité il substitue le lien légal et forcé de la solidarité. L’ambition domine chez le premier ; une passion plus basse, l’envie, anime le second. Ils s’appuient également sur une sorte d’organisation d’autant plus redoutable qu’elle est en partie souterraine. Les armes de l’un sont toutes morales, et elles n’en sont pas moins efficaces ; l’autre est toujours prêt à la violence, et, dans l’emploi factieux qu’il en a fait, il n’a réussi jusqu’à présent qu’à troubler la société sans profit pour lui-même.

Paris voit surtout le spectre blanc en province, et la province affecte de croire que le spectre rouge est tout parisien ; c’est une exagération. Paris à ses « blancs, » dont l’influence politique est sans doute moins grande que celle de leur parti dans quelques départemens, mais qui ne sont pas l’objet de haines moins ardentes et de défiances moins excessives. La province de son côté a ses « rouges » dans les campagnes comme dans les villes, et, il n’y a pas plus de vingt ans, ils ne se faisaient pas moins redouter que leurs frères et amis de Paris. La propagande révolutionnaire, de 1848 à 1852, avait envahi près d’un tiers de la France. Dans plusieurs départemens du centre, de l’est et du midi, presque tous les représentans élus appartenaient à la fraction la plus exaltée du parti républicain, et les insurrections qu’y provoqua le coup d’état arborèrent presque partout le drapeau de la « république démocratique et sociale. » Le coup d’état fit rentrer sous terre le socialisme rural. Presque tous les chefs du parti démocratique en province avaient été proscrits ; leurs adhérens étaient frappés de terreur ; le despotisme général qui pesait sur le pays était de beaucoup dépassé par les tyrannies locales, s’exerçant dans l’ombre et sans contrôle. Il y avait encore des partis, jusque dans les moindres villages : les compétitions personnelles, les intérêts locaux, les questions religieuses, perpétuaient les divisions ; mais ces partis n’avaient chance