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le maniement des armes. D’abord ce fut à la cour, comme dans le public parisien, un grand engouement pour l’uniforme en toile grise des francs-tireurs vosgiens ; aux fêtes de Nancy, aux fêtes de l’Exposition, chacun leur fit accueil : le prince impérial consentit à devenir membre honoraire de la société, et se laissa photographier avec le feutre à plumes de coq ; puis le ministère de la guerre chercha querelle à ces compagnies, et prétendit leur imposer des obligations incompatibles avec leur caractère réel de simples académies de tir ; elles préférèrent se dissoudre, et la jeunesse y perdit une excellente école. La garde mobile fut négligée en Lorraine de même que partout. On distribua quelques grades ; mais aux officiers on négligea de donner des soldats. Cette milice rappelait trop la nation armée. Quelques uniformes abondamment galonnés témoignèrent seuls, aux visites du 1er janvier, qu’il y avait en France une garde mobile. Ce fut seulement un arrêté du 18 juillet 1870 qui, trois jours après la déclaration de guerre, quinze jours avant l’invasion de la France, organisa les cadres des quinze bataillons de mobile lorraine et des batteries d’artillerie correspondantes.

On sait tous les services que peut rendre la garde nationale sédentaire, non pas sans doute en rase campagne, mais aux remparts d’une place forte, sur les derrières de l’armée régulière, pour assurer le service des subsistances, garder les lignes de chemin de fer, escorter les convois de prisonniers, ramener les fuyards au combat. Elle est l’adversaire naturelle du uhlan et du batteur d’estrade ; elle put même dans des villes ouvertes, à Colmar, à Dijon, à Châteaudun, sauver à l’occasion l’honneur de la cité. C’est seulement le 9 août 1870, après Forbach et Reischofen, que le corps législatif consentit à ne pas repousser la proposition de M. Jules Favre tendant à l’armement immédiat des gardes nationales. Jusque-là, les députés officiels de Lorraine n’avaient pas été les moins hostiles à tout armement de cette nature. Cette concession du corps législatif venait trop tard pour la Lorraine. Quand les habitans se trouvèrent abandonnés par l’armée, ayant à redouter à la fois l’émeute et l’invasion, il leur fallut protéger les propriétés privées et les magasins de l’état avec des bâtons et des brassards. Pendant qu’à Nancy cette singulière garde civique empêchait le pillage de la manutention, les citoyens de Toul, sous les murs desquels l’ennemi allait arriver, étaient initiés pour la première fois aux mystères du fusil à silex ! La routine était si forte, les sous-officiers instructeurs étaient si peu habitués à voir une arme entre les mains d’un bourgeois, qu’on voulait, avant de les instruire à bourrer la poudre, leur apprendre à tenir les pieds en équerre et à tourner la tête à droite ou à gauche. Enfin l’ennemi parut ; il fallut bien distribuer les fusils.