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Quant aux places qui devaient, de concert avec l’armée régulière, protéger la Lorraine sans que les Lorrains eussent à s’en mêler, elles étaient généralement dans une triste situation. Metz, avec ses forts détachés, était la seule place de l’est qui fût à la hauteur des exigences de la guerre moderne. Bitche dut à la nature et au courage de ses défenseurs, bien plus qu’à l’art de Vauban, de ne rendre sa forteresse qu’après la signature de l’armistice ; mais Marsal n’était une place forte que grâce aux marais qui l’entouraient ; or ils se trouvaient alors desséchés. Que signifiaient les fortifications de Thionville, Montmédy, Longwy et même Verdun, sinon ceci : villes à brûler ? Toul était dominé de tous côtés par des hauteurs qu’on avait toujours négligé de fortifier. L’une d’elles, le mont Saint-Michel, haute de 1,000 pieds et distante des remparts à peine d’une portée de fusil, dominait la ville et sa cathédrale aux deux tours de dentelle. Il n’y avait pas à Toul un petit enfant qui ne sût parfaitement qu’il y avait là-haut place pour une citadelle ; pour protéger la brave petite ville, la dépense eût à peine égalé la dixième partie de ce que coûtait un voyage en Égypte. Frouard, situé au point de rencontre des lignes de Forbach et de Strasbourg, entouré de collines admirablement disposées, n’était pas fortifié ; c’est par là que la cavalerie allemande coupa les communications de l’armée de Metz avec la France.

Que la Lorraine fût mal préparée à se défendre elle-même et à couvrir la France, c’est une vérité dont tout le monde avait l’instinct, aussi la nouvelle de la déclaration de guerre jeta le pays dans la stupeur ; on eut, malgré l’intrépide confiance qui caractérise les populations françaises, comme le pressentiment des malheurs futurs et comme les affres de l’invasion. On était moins pressé en Lorraine qu’à Paris d’aller à Berlin parce qu’on était plus près de la frontière. Cet « enthousiasme indescriptible dans la population » dont le préfet de la Meurthe, à l’exemple de ses collègues des départemens limitrophes, donnait avis par télégramme au ministère de l’intérieur, n’existait que dans certaine partie de la population facile à émouvoir. Pourtant, lorsque tout fut décidé, on fit contre fortune bon cœur, et quelques conseils de municipalité ou d’arrondissement écrivirent à l’empereur pour « manifester toute leur confiance dans le succès prochain de nos armes » (adresse d’Épinal). Quand la Lorraine tout entière retentit du bruit des préparatifs guerriers, quand sur toutes les lignes de chemin de fer circulèrent avec des feuillages et des chants de victoire les longs trains militaires, quand on vit l’attitude résolue de nos belles troupes d’Afrique, quand sur les larges promenades plantées d’arbres on vit défiler ces beaux régimens de la garde, dont les hauts bonnets