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procédés barbares le désir de faire prendre en horreur aux populations la continuation de la guerre, en leur montrant que les fils prisonniers expieraient le patriotisme de leurs familles.

Parfois on avait à la gare des caprices d’humanité ; on laissait approcher « le peuple. » C’est alors qu’on pouvait juger des trésors de charité et de patriotisme que renfermait cette population si rudement éprouvée. C’étaient les plus pauvres qui donnaient le plus. Un ouvrier ôtait ses souliers, et les donnait à un pauvre mobile. Une femme du peuple apportait trois mouchoirs : « Il m’en reste encore trois, et je les laverai plus souvent, » Ceux qui n’avaient absolument rien allaient quêter dans les maisons, et à l’heure des trains arrivaient sur le quai avec de grands brocs au contenu vermeil, avec de grands paniers à deux anses remplis de ce savoureux pain blanc, le dernier peut-être que goûteraient les prisonniers, condamnés désormais au noir pain de seigle de la captivité, si meurtrier pour les soldats français. La foule se gardait de faire du désordre ; on recommandait le calme et le silence aux prisonniers : ce qui n’empêchait pas le commandant d’étape de déclarer ensuite que cette expérience lui suffisait et qu’on ne l’y reprendrait plus. Telle fut la situation morale des vaincus pendant ces huit mois d’occupation. Nous allons étudier maintenant les procédés administratifs des vainqueurs.


II.

Les départemens de la France orientale occupés par les armées allemandes furent immédiatement partagés en deux gouvernemens. Le gouvernement de Lorraine comprenait le département de la Meuse, le département des Vosges, les arrondissemens de Nancy, Toul, Lunéville (Meurthe) et de Briey (Moselle). Le gouvernement d’Alsace comprenait, outre l’Alsace, le département de la Moselle, sauf l’arrondissement de Briey, et les deux autres arrondissemens de la Meurthe, Château-Salins et Sarrebourg, l’un de langue française, l’autre de langue allemande. Une carte, publiée à Berlin vers le mois de septembre par M. Kiépert, faisait connaître les limites administratives des deux gouvernemens, que tous les organes officiels de l’Allemagne et des pays envahis considéraient déjà comme les limites politiques des deux empires. En effet, à part Belfort et sauf quelques remaniement dans les circonscriptions cantonales, enregistrés d’avance dans les feuilles officielles d’Alsace et de Lorraine, l’un des deux gouvernemens passa tout entier à l’Allemagne, l’autre resta tout entier à la France. La Lorraine perdit son unité ; Metz et Château-Salins durent se considérer dès lors